samedi 1 juillet 2017

Départ pour Shergol et son monastère troglodyte

L’horaire des bus est toujours le même, je sais donc qu’il ne passera qu'en début d’après-midi. Je prends mon temps pour le petit déjeuner, faire mon sac et aussi pour saluer la famille de la guesthouse avant de m’installer le long de la route et peut-être faire du stop au cas où un chauffeur voudrait faire un bout de route avec moi. 
Peu de temps après, c’est un chauffeur de camion qui arrête son véhicule. Avant de monter dans la cabine, étant donné que tous les chauffeurs ne sont pas sympas, je négocie soigneusement le prix du trajet jusqu’à Shergol. On n’est jamais assez prudent !!            
Dès que nous passons le village de Lamayuru, la route commence à s’élever pour franchir le Photu La, un col de 4100 m d’altitude. Lacets après lacets, on découvre une dernière vue plongeante sur le monastère bien juché sur son piton rocheux. Si je peux contempler ce décor,  le chauffeur quant à lui n’a visiblement pas le temps de le contempler, vu qu’il a toutes les peines à faire avancer son camion surchargé sur les pentes qui deviennent de plus en plus raides. Nous sommes encore loin du sommet et je constate que dans la cabine, la température a tendance à grimper encore plus que le tracé de la route. Par acquit de conscience, je jette un coup d’œil sur le cadran du thermostat et constate que son aiguille est confortablement installée dans la zone rouge. Une fois le sommet franchi, le chauffeur arrête son véhicule sur le bas côté de la route pour laisser souffler les ex-puissants chevaux moteur cachés derrière la calandre. Il n’a visiblement pas trop de temps à perdre, alors pour activer le processus de refroidissement, il verse tout un jerricane d’eau sur le radiateur, ce qui provoque évidemment un grand nuage de vapeur. Remède particulier, mais oh combien bien efficace, puisque nous pouvons directement reprendre notre route.  C’est à présent la descente jusqu’à Henasku, puis Bodkharbu. Il ne reste qu’une petite trentaine de kilomètres avant d’arriver à Shergol. Heureusement, depuis quelques kilomètres, la route se fait sur un bitume flambant neuf, si bien que nous attaquons un dernier col, le Namika La (3755m), dans des conditions nettement meilleures. Je m’en réjouis puisque dans moins d’une heure, je serai déjà arrivé à mon étape du jour.
Nous arrivons à hauteur du village de Shergol, plus exactement au deuxième pont qui enjambe la Wakha Chu. J'y fais arrêter le camion car c’est d’ici que c'est le plus facile pour me rendre, d’abord au Jangchub Ling gonpa (lieu d’éveil), que j'espère pouvoir enfin visiter, avant de continuer le chemin vers Urgyen Dzong. Ce petit monastère qui appartient à la lignée des moines Gelupa (bonnet jaune) n’est sûrement pas très important, mais le plus intéressant, c’est son emplacement. 



Il est en effet perché au milieu d'une immense falaise de granit dur et il fait plus penser à un refuge pour les moines en méditation, plutôt qu’à un lieu habituel de culte. L’édifice de trois étages avec ses fenêtres étroites percées dans un mur blanc, semble si paisible en pleine lumière astrale, que je n’ai qu’une envie, celle de monter là-haut afin d’espérer qu’un moine soit cette fois présent. Je constate que le chemin en zigzags démarre sur le côté droit de la falaise. Ni une ni deux, je me lance à l’assaut de la moinerie troglodyte, mais pour y arriver, le chemin est raide et instable. Cela ne me rassure pas trop car sur ma gauche, le précipice devient de plus en plus important au fur et à mesure de mon avancée. Après plus de dix minutes d’efforts, je me retrouve devant la porte du monastère et constate, avec soulagement, que le cadenas est déposé sur le sol. 
Il y a donc forcément quelqu’un à l’intérieur. Avant de rentrer au gonpa, je regarde le décor que le moine doit contempler lorsqu'il est ici. Au loin, tout au bout de la vallée, je devine même Mulbek.
Afin de ne déranger personne, je tente une intrusion discrète et ouvre délicatement la porte, après avoir fait glisser le loquet de bois qui la maintient fermée de l’intérieur. Mais mes efforts sont vains, car aussitôt que la porte commence à s’entrouvrir, un grand grincement des lourdes charnières vient ruiner mon intention de discrétion. Qu’à cela ne tienne, je poursuis mon intrusion, sans trop savoir ce que je vais découvrir derrière cette porte. L’entrée donne directement sur différentes petites pièces où sont exposés différents objets sans grande importance. Sauf peut-être deux assiettes en étain et un cadre pour la méditation.


Avant de continuer mon exploration, je dépose mon sac à dos au pied d’un escalier de pierre que je gravis aussitôt. 
Je me retrouve à présent dans une salle de prières. Là, un moine lit des textes sacrés à voix de basse profonde, tout en se balançant d’avant en arrière. Le moine est tellement concentré dans sa lecture qu’il n’a ni entendu la porte grincer et encore moins remarqué ma présence. Il continue inlassablement ses récitations comme si de rien n’était. Je m’assieds clandestinement, dans un coin de la salle en attendant qu’il ait fini la lecture des textes. Du regard, je visite mon environnement et je découvre une ancienne statue de Bodhisattva Avalokiteshvara (la compassion) sous forme de Sahasrabujia avec ses 11 têtes et mille mains, ainsi que deux divinités bouddhiques. 




Sur les murs sont peints de nombreuses fresques  représentant des divinités bouddhiques et diverses scènes de la vie de Bouddha. L’ambiance est peut-être la même que dans tous les autres monastères, mais ici, par la situation même du gonpa, on peut ressentir en plus la magie de l’isolement d’un refuge de montagne. Hélas pour mes photos, les fresques se trouvent sur des murs où la seule lumière est celle qui vient d'un néon mal placé et qui donne uniquement un mauvais reflet . Dommage car les oeuvres sont d'excellentes qualités et forcément très anciennes.


Les sensations sont franchement magiques. Le moine termine sa lecture et range soigneusement entre deux planches de bois ses feuilles de riz où sont imprimés les textes sacrés et emballe le tout dans un tissu de soie de couleur jaune ocre. Il continue la mise en ordre de la table basse se trouvant devant lui, où sont disposés les différents instruments de musique utilisés durant la lecture. Le moine relève la tête et constate qu’il n’est plus seul dans sa moinerie et m’invite avec un large sourire à venir m’assoir près de lui (zhuks le !). Visiblement, il semble heureux de ma visite et après m’avoir demandé mon nom (nyerangi ming chi in le ?), (nge ming le Serge). Les questions continuent et il me demande à présent nyerang kane in le ? (d’où viens tu ?), nga Belgique ne in le, ho ! là, il est surpris et se demande bien où ce pays pourrait se situer sur une carte ?  Je le tranquillise et je lui dis (Europe in le), c’est déjà un peu plus clair dans sa tête. Là dessus, il se lève et s’absente quelques instants pour revenir avec une grande théière, deux tasses en bois et de la tsampa. Pendant que nous pétrissons la farine avec du thé, la conversation s’engage et le moine me demande si je compte aller au pèlerinage Phu mkhar rdzong ? Dans un premier temps, je ne fais pas le rapprochement entre Phu mkhar rdzong et Urgyen Dzong ! Voyant mon embarras, le moine comprend très vite et me dit alors Urgyen Dzong. Je lui explique que je suis déjà monté deux fois là-haut, mais que je n’ai jamais eu l’occasion d’assister au pèlerinage, mais que je compte bien y aller cette année. Le moine est alors heureux de m’expliquer ce que représente le pèlerinage de Phu mkhar rdzong, «la Forteresse de Phu mkhar » qui, à sa connaissance, est le seul lieu de pèlerinage se faisant dans un cadre naturel au Ladakh. Vu mon étonnement lorsqu’il a nommé le site Phu mkhar rdzong, il m’explique alors que ce nom vient du village voisin de Phu mkhar, bâti en haut d'une vallée (phu) au pied d'un château (mkhar) et que (rdzong) vient tout simplement de la position en hauteur du lieu saint emblématique des forteresses. Pour le moment, je suis très bien la leçon et cela devient plus clair dans mon esprit. Mais mon professeur veut me conduire plus loin dans ma connaissance et m’explique alors pourquoi ce site est devenu si important. Et il me raconte qu'il y a fort longtemps un roi du Cachemire nommé Ghobina, était atteint physiquement par la grave maladie des esprits du sous-sol et du monde aquatique, pour laquelle son amchi particulier n’avait aucun remède. Il se tourna vers les lamas pour la récitation des matras, mais là encore, ils ne s'avérèrent pas bénéfiques pour la santé du roi. En dernier recours, il invita Padmasambhava à venir le voir en son royaume. Les deux hommes se rendirent alors au lieu-dit de Purig phu moche, « la Grande Grotte du Purig ». Padmasambhava y disposa le mandata de Hayagrïva et soumit le démon qui était maître du lieu, le terrible klu bdud Hâ la le Noir, qui était considéré comme le grand responsable de la maladie du roi. Le monarque, enfin guéri du mal, reconnut Padmasambhava et devint un de ses mécènes {sbyin bdag). Il est évident que la nouvelle de la guérison du roi se dispersa comme une trainée de poudre et que le lieu devient reconnu dans tout la région et même jusqu’à Lhassa. Si bien que beaucoup d’autres candidats à la méditation se succédèrent dans les grottes, contribuant encore un peu plus à la renommée du site. Et pour bien me prouver que ce lieu saint continue encore à susciter de l’intérêt, le moine poursuit en confirmant qu’à la fin du XXème siècle, Kham brag Rinpoche, un lama tibétain réfugié en Inde, et  Apho Yeshe Rangdrol Rinpoche, ont séjourné  longtemps à Phu mkhar rdzong, en méditant à leur tour dans une des nombreuses grottes. Mais le moine veut encore m’expliquer comment me rendre sur le site tout en respectant les concepts bouddhiques et détailler les sentiers. Lancé dans ses explications, il me détaille les trajets et me dit que deux sentiers sont possibles, le premier se nomme « chemin des rochers » (brag' i lani) ou aussi « chemin d'en haut» (gyen'i lam) tandis que le deuxième c’est le « chemin de la gorge » (rong'i lam). Le premier remonte le versant d'une montagne très pentue, pour aboutir sur un replat conduisant sur une voie de blocs rocheux jusqu'au sommet du col de Оrgyan rdzong, d’où on a une vue incroyable sur tout le site des cérémonies. Le second, le « chemin de la gorge » (rong'i lam), longe un torrent sinueux au fond d'une vallée étroite entre de hautes parois rocheuses, et débouche dans la partie basse du site. Une dernière grimpette est alors obligatoire pour arriver aux temples et avoir enfin une vue sur l’ensemble des grottes. Ce parcours-ci est plus sportif et ne peut se faire durant la fonte des neiges, vu qu’il y a quelques cascades à franchir.  Voilà le topo des deux parcours, mais le moine me précise encore que pour suivre la tradition, il est recommandé aux pèlerins de monter par le chemin des rochers et de redescendre par celui de la gorge afin d'accomplir le grand tour (skor chéri) dans le sens de la circumambulation bouddhique, c’est-à-dire, de gauche à droite ou si vous vous voulez, dans le sens des aiguilles d’une montre. Et il conclut, que lorsque je serai là-haut, il y aura bien quelqu’un qui se fera un plaisir de m’expliquer comment faire les différentes visites et me détailler ce que j’y découvrirai. Tout est à présent dit, et pour ne rien oublier, j’ai tout noté sur mon calepin. Maintenant, le moine me propose d’assister à la puja du soir. Il est évident que je ne refuse jamais de participer à ces rituels. En effet, ceux-ci sont chaque fois uniques étant donné que chaque moine, après des années de formation, est capable de produire une note dans trois octaves simultanément, mais garde toujours sa spécificité dans la récitation chantée des enseignements du Bouddha. Lorsque les prières sont bien exécutées, les vibrations vocales profondes et les accompagnements orchestraux proposés agissent sur les flux d'énergie du corps et de l'esprit, même lorsque l’on est profane comme moi.
Lorsque la puja se termine, l’après-midi est déjà bien entamée et le moine se propose de m’offrir l’hospitalité au gonpa. Je m’en vois évidemment ravi, puisque cela me permettra d’apprécier, ne fut-ce que pour une nuit, la quiétude qu’un moine peut ressentir lorsqu’il est dans ce gonpa troglodyte. Je ne me pose d’ailleurs aucune question, ni sur l’organisation du repas et ni de l’endroit où je vais pouvoir dormir. Je me laisse simplement aller vers la cause immatérielle afin de vivre ce moment de la meilleure façon qu’il soit.
Cette nuit a été incroyablement douce, mais il me faut maintenant retourner vers la cause matérielle et penser à continuer mon chemin. Le temps de refermer mon sac, de boire un thé au beurre, de jeter un dernier regard plongeant sur le village depuis le balcon du gonpa et me voilà prêt à troquer ce havre de paix pour la suite de l’aventure qui, je l’espère, sera tout aussi riche en rencontres, qu’en ce début de périple.
Me voilà en marche pour aller à Urgyen Dzong. Les deux premières fois que je me suis rendu sur ce site sacré, j’y suis allé par le chemin de la gorge. Comme le moine m’a appris que ce n’était pas le bon sens si je voulais respecter la circumambulation bouddhique, j’ai donc bien l’intention de prendre cette fois le chemin du haut. Hélas, trop absorbé par toutes les explications et les notes que je prenais, j’ai totalement oublié de demande où se trouvait le point de départ de ce fameux chemin et si, point encore plus important, il était praticable !! Je suis donc d’avis de rejoindre le hameau de Serzing et là, je trouverai bien quelqu’un qui pourra me donner les informations qu’il me manque. En tout cas, ce que je constate, c’est qu’à cette heure matinale, il n’y a pas encore grand monde sur le chemin et surtout pas des pèlerins, même si la chose est normale puisque les grandes cérémonies ne débuteront véritablement que demain.
C'était le compte rendu de ma visite dans le vieux gonpa troglodyte de Shergol. Visite que je n'aivais jamais pu faire jusqu'à aujourd'hui. C'est dire que ce moment fut combien important. Maintenant, c'est le site Urgyen Dzong qui m'attend.

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