mercredi 28 juin 2017

Je quitte Tar pour Lamayuru et son monastère

Ce matin, nul besoin de trop me presser, le bus venant de Leh ne  passera de toute façon pas avant la fin de la matinée. Je peux donc déjeuner et remercier Palmo et son papa du bon accueil et des bons petits plats que j’ai dégusté avec délectation, tout en promettant que la prochaine fois que je viendrai, ce sera avec Pascale ou peut-être encore cette année pour faire le Tar La. Comme je le disais, il y a une semaine, les départs ne sont jamais joyeux, mais ici, la tradition ne s’attarde pas aux adieux déchirants. Il faut reconnaître que cela va très vite, julley, un signe de la main, un sourire et chacun se retourne pour faire ce qu’il doit faire. Moi je prends la direction des gorges qui m’emmèneront à nouveau au pont sur l’Indus, et puis la route pour de nouvelles aventures. 




Arrivé sur celle-ci, je n’ai plus qu’à déposer mon sac et à attendre patiemment l'arrivée du bus. Encore heureux qu’il n’y a pas pour l’heure trop de circulation, si bien que je peux rester tranquillement sur un muret qui me sert de siège. Je ferai bien signe d’arrêter à un chauffeur de camion pour qu’il me conduise à mon étape, mais il vaut mieux l’éviter pour aller à Lamayuru car là-bas, il y a deux routes : une servant de détournement, qui part vers le haut afin d’éviter le passage dans le village de trop nombreux camions et l’autre qui dessert le village. Finalement, au bout d’une demi-heure, le bus arrive à ma hauteur. Un petit signe de la main, je prends mon sac et me voilà installé dans l’allée centrale assis sur mon sac au lieu de me trouver assis sur une place prévue à cet effet. Rien de bien embêtant puisque d’ici une bonne dizaine de kilomètres, le bus s’arrêtera à Khaltse pour un arrêt repas de midi. 
Je verrai bien après la pause s’il y a un siège qui se sera libéré. Dans tous les villages où les bus s’arrêtent, c’est le même topo : toujours de nombreux petits restos de route où les plats sont pratiquement les mêmes partout. Afin d’être en dehors du bruit et de la poussière, je vais manger dans un resto sur une petite place. Pour être vite servi, je commande un dal (riz, lentilles épicées, légumes) et un thé. Ce n’est pas le meilleur dal que j’ai eu l’occasion de manger, mais au moins, je vais pouvoir repartir le ventre plein. Après une demi-heure, coup de klaxon pour dire qu’il est temps de rejoindre le bus et que le départ est imminent. Je passe en vitesse dans un magasin pour y acheter une barre chocolatée. Comme elle est emballée par paire, il y aura une barre pour moi et une pour l’enfant assis non loin de moi dans le bus. Je me réinstalle sur mon sac croyant bien que c’est pour le reste du voyage lorsque quelqu’un vient me chercher et me signale qu’il y a une place dans le compartiment chauffeur.
Peu après Khaltse, nous quittons très vite les bords de l’Indus qui continue son chemin vers le Pakistan par la vallée du Dha. Tandis que nous, nous poursuivons sur l’ancienne voie caravanière qui faisait il y a très longtemps, Srinagar-Lhassa. Avant d’arriver à Lamayuru, on longe le fameux cirque désertique appelé le « Moonland ». J’ai beau être passé plusieurs fois par ici, je suis à chaque fois fasciné par cet endroit. J’ai même été, en 2012, y faire une balade qui m’a tellement enchanté, que je pense bien renouveler cette expérience. A l’arrivée au village de Lamayuru, il n’est pas besoin de faire un petit sifflement pour arrêter le bus, vu qu’ici, il y a toujours quelqu’un qui monte ou descend. 
A la descente du bus je me dirige directement vers le Tharpaling guesthouse afin d'y réserver ma chambre. Lorsque j'arrive sur place, c'est une des filles de la maison qui m'accueille. Elle est très étonnée de me voir vu que cela fait si longtemps. Aussitôt, elle me montre ma chambre et veut directement prévenir ses parents de ma présence. Je lui demande de maintenir le suspense et de dire qu'un vieux client est arrivé. C'est ce qu'elle fait, et lorsque le papa arrive, il me dit " je savais que c'était toi " et me prend dans ses bras en me demandant Khamsang le ? (comment ça va ?). Je lui réponds Khamzang in le (je vais bien). Skyot le  (viens) et nous allons directement dans la cuisine. Zhuks le (assieds toi) et il arrive ensuite avec deux verres de thé et un thermos pour prendre le temps d’avoir de mes nouvelles. Il y a si longtemps que tu n'est plus passé par ici ? Je confirme son affirmation et lui explique en quelques mots, les évènements nous ayant empêchés de voyager pendant trois ans. Les verres de thé se vident et c'est au tour de sa femme d'arriver. Hé mémé, tu es de retour ?!! Hélas elle ne peut rester plus longtemps avec nous car la cuisine l'attend pour préparer le repas du soir. Qu'à cela ne tienne, elle écoutera notre conversation tout en travaillant.


Le diner, nous le prennons ensemble, avec tous les touristes dans l'annexe de la cuisine qui sert de salon. Après le repas, je passe un coup de téléphone à Pascale et lui envoie du même coup les deux photos que nous venons de faire. Merci Wifi !! Après, il est déjà temps de penser à rejoindre mon lit si je ne veux pas être en retard à la putja au monastère de Lamayuru qui porte le nom de " Yung-dung Thapa Ling et est un des plus anciens de la région. Il remonte au temps du maître indien de tradition bouddhiste Tilopa et son disciple Naropa. Ils ont d'ailleurs chacun leur statue dans la grotte où ils ont médité.


Pour aller au gonpa depuis la guesthouse, il me faut monter un chemin très abrupt qui mène directement sur le sommet des rochers où est accroché à flanc de montagne le gonpa. Arrivé dans l’enceinte de celui-ci, je me dirige directement vers une plateforme où trônent quatre grands stupas qui sont entourés par une longue série de moulins à prières. Je fais le tour par la gauche, comme le veut la tradition, en faisant tourner les moulins qui renferment des mantras dont le plus connu est OM MANI PADME HUM signifiant «Salut à toi, Ô Joyau dans le Lotus». 


Je me dirige ensuite vers la grande salle de prière. Lorsque j’arrive, la cérémonie a déjà commencé et je m’installe le plus discrètement possible sur un des coussins disposés tout spécialement pour les visiteurs. Comme le festival annuel s’est déjà déroulé cette année, il y a de ce fait, moins de moines, mais surtout moins de touristes présents. A vrai dire, nous ne sommes que trois, ce qui m’arrange grandement, car il faut bien reconnaitre que certains touristes se comportent, que cela soit dans un festival ou une putja, comme s’ils assistaient à la dernière revue à la mode et font du n’importe quoi, afin d’immortaliser sans scrupule et sans retenue les cérémonies. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas et nous pouvons tous trois partir vers le chemin spirituel en compagnie des moines célèbrant l’office afin de conduire à l’éveil tous les êtres et les aider à trouver la libération de toutes les sources de souffrance, que sont l’orgueil, la jalousie, le désir, l’ignorance, l’avidité et la colère. 
Les odeurs d’encens envahissent toute la salle pendant que les moines prient en psalmodiant des textes sacrés qui parlent de l'esprit, la philosophie et les enseignements de Bouddha. Pendant la cérémonie, quelsques moines servent à chaque personne de l’assemblée, du thé au beurre salé. Le moment est venu pour moi de sortir ma tsampa que je mélangerai avec le thé une fois que celui-ci me sera servi dans ma tasse en bois. Le petit déjeuner se passe alors dans le silence le plus complet afin que les pensées de chacun restent libres. 
Un gong retentit, la cérémonie reprend, les moines reprennent directement la lecture des textes sacrés accompagnés de nombreux rituels, en utilisant notamment des objets de culte comme le dorjé, le gyaling et le hyangro et en accordant une grande place au mouvement. Le monastère culmine peut être à 3510 m, mais j’ai bien l’impression qu’à ce moment-ci, mon élévation mentale est bien au-delà. 
La putja terminée, je range ma tasse et le reste de la tsampa dans mon sac et décide de rester dans la salle pour me plonger sur quelques pages de mon livre qui évoque, comme je vous l’ai déjà dit, l’art de la compassion. Etant donné qu’il ne fait pas très lumineux à l’endroit où je me trouve, je choisis d’aller m’assoir près d’une fenêtre pour avoir une lecture plus confortable. Au bout d’une heure, un moine vient me voir et m’invite à partager une nouvelle putja avec lui. J’accepte très volontiers et nous nous dirigeons vers une pièce plus petite où il y a des coussins, deux tables où sont déposés un livre tibétain aux couvertures en bois, un dorjé (Dorjé le principe masculin, est le symbole du chemin qu’il faut suivre et ghantâ (la cloche), principe féminin, qui incarne la connaissance, la vacuité. Il y a aussi un gyaling sorte de hautbois, un hyangro, tambour rond à deux faces recouvert de peau de chèvre ayant une poignée en bois et une baguette nommée "gajo" et des cymbales.  Je m’installe à la table qui se trouve en face de celle du moine, la putja peut commencer. ……….. Après avoir fini la lecture de tous les feuillets, le moine les range bien soigneusement entre les deux planches et emballe le tout dans un tissu de couleur jaune ocre. Puis il relève la tête pour me dire thank you et je lui réponds d’un simple julley. Je ne saurais rien dire de plus, tellement le moment fut divin. Après un court silence, le moine me demande dans un anglais approximatif où je vais après Lamayuru. Je lui dis que j’ai l’intention d’aller à Urgyen Dzong pour le jour anniversaire de la naissance de Padmasmbhava (Guru Rinpoche), et qu’après, je débuterai un long voyage à pied depuis le Zanskar jusqu’au Tsomo Riri. Le moine sourit et me dit : This is good, but after the little Tibet, do you go to the great Tibet ? Là, c’est à mon tour de lui sourire et de répondre : No, that is not possible ! Et il me répond : Que les hommes sont ridicules avec leurs frontières ! Ils parlent souvent de paix, mais ils n’ont aucune solution à offrir pour y arriver, étant donné qu’ils n’étudient pas le problème à fond puisqu’ils l’examinent uniquement du point de vue politique, alors qu’un problème, pour être résolu, doit être placé sur le plan philosophique. Toutes autres solutions ne peuvent être que temporaires. Pour avoir une véritable paix, il faut cesser de tuer les hommes, en supprimant la peine de mort, mais aussi les animaux en interdisant la chasse et en introduisant le végétarisme pour tous. Ce n’est qu’après, qu’on osera parler de paix sans être ridicule. Et il poursuit en disant qu'on ne peut pas quotidiennement et impunément égorger des millions de bêtes innocentes, vu que même les animaux ont une âme et toutes ces âmes une fois libérées de leur corps, demandent obligatoirement justice. Surtout qu’aucun mangeur de viande ne se plaigne des coups que lui porte le destin. Même si le moine a eu la grande amabilité de ne pas me poser la question pour savoir si je mangeais de la viande, il est toutefois certain qu’à partir d’aujourd’hui, si je mange encore de la viande, je n’en mangerai plus jamais de la même façon ! 
Avant de se quitter, je tente de lui poser une question sur le Tibet en lui demandant s’il trouvait normal que nous ne puissions plus y aller ? Sa réponse fut tout aussi philosophique : je ne cherche pas à savoir pourquoi nous ne pouvons plus y aller. Je ne veux rien savoir car il y a différentes causes et il est évident que nous les ferons disparaître en créant un monde nouveau. Aujourd’hui, chaque pays sur cette terre est une des cellules de cette grande prison et il n’est pas question de passer d’un compartiment à un autre. Il n’existe même pas de salle centrale, soit pour y prendre des repas soit pour y travailler, car il n’y a pas un seul territoire à la surface de notre globe qui appartienne en commun à tous les hommes. Tout est domaine privé. Tous ceux qui ne partagent pas votre cachot s’appellent étrangers, terme auquel s’attachent mépris et méfiance. On crée des réserves pour protéger les animaux. Nous avons un urgent besoin de parc International pour bêtes humaines sans passeport. Avec les paroles qu’il venait de me dire, le moine m’avait offert assez de sujet de réflexions pour tout mon voyage. Avant de nous quitter, je le remercie bien chaleureusement et lui offre une photo du Dalaï Lama. 

Je pensais avoir terminé la partie cérémonie mais le moine me dit qu'aujourd'hui, une autre cérémonie, très importante, est consacrée à la paix dans le monde et qu'elle se déroule dans la section de méditation du monastère. Je me dirige aussitôt vers ce lieu qui culmine sur une autre cime à l'arrière du monastère. Cette dernière cérémonie sera, dans l'après-midi, couronnée par la présence du grand Lama du monastère.
A première vue, ce cérémonial n'est pas trop différent d'une putja, sauf que pendant les prières des moines, un feu est alimenté durant toute la cérémonie. Chose difficile à faire, vu le peu de bois que l'on trouve au Ladakh.  Lorsque j'arrive à l'endroit, les moines et nonnes sont déjà réunis avec un maître de cérémonie. Comme le grand Lama n'est pas encore présent, c'est au moine qui a rencontré le coeur intime de l'enseignement du Bouddha, grâce à la pratique de la méditation durant une période de trois ans et trois quinzaines, que la tâche est confiée. 












Il est déjà 14h, c'est l'heure de faire une pause pour tout le monde et d'aller se restaurer avec différents plats végétariens, servis dans une pièce servant de cuisine et de réfectoire improvisé. 
Une heure plus tard, le grand Lama arrive sur le lieu de la cérémonie. Les prières peuvent reprendrent.  





 Au soir, je quitte le gonpa et redescends vers la route pour rentrer à la guesthouse et me préparer pour le repas du soir. 
Après cette bonne journée et pour ne pas trop vite redescendre sur terre, j’ai l’intention d’aller marcher demain, sur un monde lunaire, que l’on appelle ici Moonland.  Moonland est un grand cirque désertique qui serait, parait-il, un ancien lac asséché. Pour pouvoir le visiter, il faut impérativement que le sol soit sec, sous peine de risquer de belles glissades sur le sol argileux. Ce décor particulier vaut largement le détour si on a assez de courage de monter là-haut ! C’est mon prochain objectif.
Me voilà parti en direction de cette terre de lune. Hélas, la météo n'est franchement pas de mon côté et il y a au-dessus de ma tête de gros nuages gris qui menacent le bon déroulement de ma balade. Au fur et à mesure que je l’approche, je suis interpellé par la couleur jaune ocre du site et cette couleur est encore plus accentuée par le contraste avec les roches sombres environnantes. Mon seul regret, c'est le manque de luminosité.







Je ne sais plus où poser mes yeux tellement je suis une nouvelle fois surpris par ce décor incroyable. Après plus de deux heures d’efforts, j’arrive au pied de falaises ornées à leurs sommets, de stalactites et stalagmites d'argile. Je continue à monter pas à pas. 

Arrivé tout en haut, la vue conjointe du Moonland avec le gonpa de Lamayuru posé sur un piton rocheux, est tout à fait gigantesque. Ne serait-ce pas ça la face cachée de Moon Land ?! Le champ de bosses prend fin. Cependant, je désire continuer sur un dénivelé d’une centaine de mètres et me retrouver sur une grande surface plane. Car ces montagnes ont été formées par le mouvement tectonique de la plaque indienne qui glisse sous la plaque eurasienne depuis 50 millions d'années. Les spécialistes prétendent que lorsque le choc des deux continents s’est produit, les systèmes cambrien, ordovicien, silurien et dévonien ont formé la partie ouest de l'Himalaya, càd le Cachemire et l'Himachal Pradesh. Je me retrouve donc à l’endroit même où était autrefois le fond de l'océan Téthys et lorsqu’on est spécialiste, les traces des formations géologiques peuvent être observées ici même, selon les différentes couleurs des roches. En résumé, il faut se dire que l'Himalaya résulte de la convergence et la déformation des plaques indo-australienne et eurasienne et cette convergence est encore décelable aujourd’hui, puisqu’elle contribue à une augmentation de l'altitude de l'Himalaya d'un centimètre par an. Avant de rebrousser chemin, je me choisis une belle pierre qui trônera dans mon salon en guise de souvenir. Cela fait, je n'ai plus qu'à redescendre et profiter encore et encore de ce site qui est peut-être unique en Himalaya. 




 Mais les nuages se font de plus menaçant, tant et si bien que lorsque je me trouve tout en haut, voilà qu'il commence à pleuvoir. Evidemment, c'est ce que je craignais le plus, car le site va se transformer très vite en patinoire. Ni une ni deux, je redescends dare dare, mais la pluie redouble d'intensité. Je change de parcours et je me dirige vers une gorge, qui devient de plus en plus étroite. Heureusement, j'arrive quand même à m'en sortir et je me retrouve ainsi en sécurité au bord de la route. Des pieds à la tête, je suis couvert de boue. Lorsque j'arrive à la guesthouse, je n'ai que la solution de passer directement sous la douche, sous peine d'effrayer tout le monde.  
La grande lessive terminée, je mets des vêtements propres et je rejoins dans la cuisine madame qui est en train de préparer le repas du soir. Comme je l'ai dit plus haut, ici c’est comme en famille, à l’heure du repas, tout le monde est réuni pour manger ensemble. C’est très agréable et nettement mieux que de manger chacun de son côté, comme c’est parfois le cas dans d'autres guesthouses.
Ce soir, je referai mon sac car pour moi, l'aventure continue. En espérant que demain les cieux soient plus cléments !!!

vendredi 23 juin 2017

En route vers cette nouvelle aventure

La nuit a été difficile, je n’ai presque pas fermé l’œil plus de deux heures. C’est d’ailleurs avec un certain soulagement que j’entends le réveil matinal venu en droite ligne du minaret du centre de Leh. Les autres jours, cet appel du muezzin me fait généralement râler un bon coup. Mais cette fois, au matin du grand départ, cette horloge parlante du monde musulman m’a extirpé illico presto de mon lit. Un passage vite fait dans la salle d’eau pour m’en jeter quelques gouttes sur le visage afin d’avoir l’air plus lucide, malgré les quatre heures du mat. Et j’enfile mes vêtements et mes godasses avant de me charger de mes sacs. Dernier coup d’œil pour voir si je n’ai rien laissé derrière moi et je referme la porte de la chambre.
Dehors, il ne fait pas encore jour, mais les meutes de chiens conquérants occupent les rues de la ville. Pas très rassurant de se balader seul en si mauvaise compagnie. Mais bon, j’essaye de me faire le plus discret possible afin de ne pas éveiller leur attention. Ils pourraient relever leur museau des monticules d’ordures et se tourner vers moi en espérant trouver meilleurs morceaux de viande à hauteur de mes pauvres mollets. A ce moment précis, je pense à tous ces gens qui me demandent souvent si je n’ai pas peur de traverser l’Himalaya seul ? Aujourd’hui, j’ai la réponse à leur question et je leur répondrai que traverser Leh au petit matin est bien plus dangereux que de traverser tout l’Himalaya à pied !!! Je ne serai pas mécontent d’arriver au polo ground. Comme pour me rassurer, ne voilà-t-il pas qu’une bagarre éclate entre les chiens. Aussitôt la meute se transforme et ce sont maintenant des véritables hordes de chiens qui arrivent de tous côtés. Vite fait bien fait, j’active le pas pendant que ces hors-la-loi règlent leurs comptes entre eux. Pour ne pas être trop visible, je quitte le Main Market pour m’engouffrer dans une ruelle plus calme. Après cinq minutes, j’arrive enfin sain et sauf à destination. Le chauffeur du bus me demande directement de mettre mon sac sur la galerie. Je lui réponds que je ne vais pas jusqu’à Kargil, que ce sera plus simple pour tout le monde si je garde le sac près de moi. Ce qu’il accepte bien volontiers, puisque cela lui fera gagner du temps.
A 5h précises, le bus se met en branle. Mais avant de quitter Leh, il y aura quelques arrêts afin de faire monter encore quelques candidats au voyage, même si tous les sièges sont déjà occupés depuis qu’on a quitté le polo ground. Un petit effort de chacun et tout le monde trouve une place, plus ou moins confortable pour aller jusqu’à sa destination.
 La mienne est un peu avant Nurla, plus exactement à la hauteur du pont qui enjambe l’Indus et qui me permettra de rejoindre les gorges qui me guideront jusqu’au hameau de Tar.
Nous voilà enfin sur la National Highway 1D. Ne vous laissez pas abuser par l’appellation Highway car cette dénomination est en Indian English (c'est une highway au sens propre : high = haut et way = voie), donc c'est une haute route, ce qui convient parfaitement à l'Himalaya ! Hélas cette haute route est éternellement en chantier et, sur des nombreux tronçons, est tout simplement dépourvue de bitume. Dans ces conditions, il n’est pas rare de mettre plus de quatre heures pour faire les quatre-vingt-cinq kilomètres séparant Leh de Nurla.

Pour avoir les meilleures vues sur les différents décors que ce désert de pierres me dévoilera au fur et à mesure des kilomètres, j’ai demandé un siège du côté gauche. C’est de là qu’il me sera permis de voir, entre autres, le confluent formé par la Zanskar river et de l’Indus. Cette union est assez spectaculaire. Tout d’abord, il se situe dans un cadre magnifique, avec en toile de fond une vallée composée de roches aux couleurs multiples et en avant plan, le contraste des couleurs entre les deux torrents, bleues pour l’un et grises pour l’autre. Pour donner une touche supplémentaire au tableau,  on remarque bien la couleur bleue de l’affluent qui se dissout doucement dans les eaux de l’Indus.


Quelques kilomètres plus loin, nous arrivons à Nimu. C’est l’heure de prendre le petit déjeuner dans un des nombreux bouis-bouis situés de part et d’autre de la route. Juste le temps de manger deux œufs durs avec un chapati et de boire un verre de thé, que le chauffeur du bus fait déjà actionner le klaxon pour annoncer le départ imminent.
Chacun retrouve sa place initiale et nous voilà en route pour le franchissement du Rongo La (3550m), avec sa vue imprenable sur les ruines de la forteresse de Basgo. 

Ce n’est peut-être pas le plus haut col du Ladakh, mais la route est tellement mauvaise qu’il est très difficile d’y circuler et à certains endroits, le passage est si étroit, qu’il est impossible pour deux véhicules de se croiser. C’est alors les inévitables manœuvres pour que le véhicule montant puisse passer en premier. Cette règle est valable pour tout le monde, sauf pour les convois militaires, qui eux, ont la priorité absolue et tout chauffeur a intérêt à mettre son véhicule sur le côté afin de laisser passer toute la colonne, aussi longue soit elle !
Les kilomètres s’étirent. Nous sommes toujours le long de l’Indus et nous traversons Saspol, passons au pont d’Alchi et arrivons aux environs du village de Nurla. Comme prévu, je fais arrêter le bus juste à la hauteur du pont. Un petit contrôle sur mes sacs afin de voir que j’ai tout avec moi, un signe au chauffeur que tout est ok et le bus redémarre en laissant derrière lui un nuage de pollution que je respire à plein poumons. Le temps de me charger du sac à dos, de mon sac avec mon matériel-photo et de mes bâtons de marche, me voilà enfin parti pour mes premiers kilomètres à pied au pays de Bouddha.
Je franchis l’Indus, le fleuve sacré déboule littéralement sous mes pieds dans un fracas indescriptible. Sa couleur d’un gris foncé prouve que son débit est au plus fort, causé par la fonte des neiges et par la puissance des flots emportant avec eux un charroi de pierres et de boue. Le spectacle est fascinant mais il me faut continuer le chemin qui va bientôt s’enfoncer dans une gorge étroite aux parois vertigineuses avoisinant les trois cent mètres de haut. Sur le pont, je rencontre la belle mère de Tashi. Evidemment, elle me reconnait et est tout heureuse de savoir qu'elle va monter jusqu'à Tar en ma compagnie.



Etant donné que mon acclimatation à l’altitude n’est pas encore terminée, ma progression n’est évidemment pas des plus rapides. Rien de grave à cela, le hameau de Tar n’est qu’à deux heures de l’entrée des gorges. J’ai donc tout mon temps pour la traversée de cette belle gorge où coule un petit torrent.  


Balade rendue très facile puisque chaque traversée du torrent est simplifiée par de nombreux ponts de bois ou de pierre. Après une bonne heure, nous arrivons à une première maison (Tar Yokma). Là, nous allons faire une petite pause pour aller rendre visite à la famille afin de leur remettre des photos que j’ai faites d’eux lors de mon dernier passage. 

C’était en 2014, c’était la période du battage de l’orge et ce travail se fait encore dans cette famille avec des yacks piétinant l’orge sur une plateforme. C’est assurément plus écologique, mais certainement plus long qu’avec une batteuse mécanique comme cela se fait de nos jours au hameau de Tar. Là, il y a une machine pour les dix maisons du village. Chaque jour, la machine passe de maison en maison avec des représentants de chaque maison de hameau  pour qu’ainsi, chaque famille puisse terminer le battage de la récolte en une seule journée. La famille où le travail se fait, s’occupe des repas de tous, du thé et surtout du chang avec, en fin de journée, un, deux ou trois verres d’arak pour les hommes. Il y a deux ans, je suis d’ailleurs tombé dans un véritable traquenard organisé et le soir venu, le chang m’a juste permis de rejoindre tant bien que mal ma chambre. Inutile de dire que le lendemain je me suis bien fait chambrer par les villageois qui étaient assez heureux de m’avoir eu ! 
Durant ces journées de battage, j’ai constaté que le travail chez les ladakhis n’était nullement ressenti comme une corvée ennuyeuse, que le travail partagé pouvait même se révéler particulièrement divertissant. Les ladakhis ne sont pas rivés comme des esclaves à leur travail, poussés par le besoin croissant d’argent. Ici, laver son linge dans une bassine n’est pas considéré comme une corvée effrayante, parcourir à pied plusieurs kilomètres est une activité normale. Et malgré tout cela, je peux vous affirmer que les ladakhis travaillent nettement moins que nous. Travailler sans relâche huit heures par jour, c’est pour eux, sauf en cas de nécessité absolue, quelque chose d’inimaginable. Comme le disait Pessel : ce qui fait le succès du système moderne, c’est que l’on croit qu’en achetant des biens de consommation, on économise du temps et du travail. Le temps, en effet, est devenu une chose si précieuse que pour l’épargner, on achète à prix d’or des gadgets considérés comme des « économiseurs de temps ». Ce qu’oublient de nous dire les annonceurs et les industriels, c’est que l’on perd encore plus de temps à acquérir de l’argent; approximativement huit heures par jour, avec un minimum de vacances. Que pour avoir de l’argent, il faut lui sacrifier cinq jours par semaine : on croit gagner du temps et on en gaspille. Cherchez l’erreur !!!! 


Nous sommes donc devant la maison de Tar Yokma. Puisque je suis accompagné, je laisse le soin à la belle mère de lancer un grand julley. La porte s’ouvre, c’est la dame de la maison qui est venue voir. Avec un large sourire, nous sommes invités à entrer dans la maison pour aussitôt nous installer dans la cuisine pendant que la dame examine le contenu de l’enveloppe. Ses yeux se sont illuminés de bonheur en regardant toutes les photos. Heureuse, elle nous offre du thé et de la tsampa (farine d’orge grillée que l’on pétrit avec un peu de thé). Je bois mes trois tasses de thé comme c’est l’usage dans la région, je mange la tsampa et je décide de laisser les deux femmes papoter et de continuer mon chemin jusqu'au village. 
A partir de la maison, je m’enfonce dans un cayon encore plus étroit et plus profond, la montée devient de plus en plus raide. Le souffle court, c’est avec un certain soulagement que j’aperçois la première maison de Tar. Dans le hameau, il n’y a plus de chemin, il faut longer un ruisseau tout en dépassant deux maisons contiguës et poursuivre jusqu’à la dernière maison isolée qui se trouve au beau milieu des champs. C’est là que réside la famille Kutipa. 


Chez les Kutipa, il n'y a personne. Je pousse la porte du jardin et je m'y installe en attendant que Palmo ou le papa arrive. Le temps passe et je décide, pour passer le temps, de faire un tour dans les champs. C'est à ce moment là que je vois Palmo qui passe le petit pont car elle a entendu que quelqu'un était arrivé chez eux. Sa surprise est grande et je ne peux résister d'immortaliser ce moment. 
Palmo n’a pas changé, toujours ce large sourire pour accueillir les habitués de la maison (il y en a quelques-uns qui se reconnaîtront en lisant ces lignes !). 
C’est ici que je vais continuer mon acclimatation avant de reprendre mon aventure pour rejoindre le grand monastère de Lamayuru via le Tar La (5250m). Evidemment, je devrai me renseigner sur la faisabilité du projet, car nous sommes tôt dans la saison et le col risque d’être encore impraticable. J’aurai bien le temps de me renseigner auprès du papa, mais pour l’heure, je vais déposer mes sacs dans ma chambre, m'installer au jardin pour boire le thé et remettre les quelques cadeaux que Pascale m’a fait prendre pour offrir à Palmo.
La température est clémente, il fait vraiment bon de se retrouver au calme dans ce beau hameau qu’est Tar. Il n’y a rien de tel pour trouver une bonne acclimatation. Même s’il faut bien avouer que quelques jours ne suffisent pas pour se retrouver directement à cinq mille mètres d’altitude. Durant mes autres voyages, aussi bien dans l’Himalaya que dans les Andes, j’ai constaté que notre organisme avait besoin de bien plus que trois à quatre jours pour être bien acclimaté. L’altitude agit sur celui-ci par la diminution de la pression partielle de l'oxygène dans l'air inspiré et par la diminution de l'air. Il s'ensuit une augmentation de la respiration et de la fréquence cardiaque et une augmentation du nombre de globules rouges dans le sang pour réagir à l'hypoxie. En ce qui concerne les globules rouges, attention aussi, car si on en a trop, il se peut que les veines se bouchent, étant donné que le sang devient trop épais. 
Le "mal aigu des montagnes" touche presque toutes les personnes allant en haute altitude. En dessous de 3000 m, il est très rare que l’on en souffre, il n'apparaît le plus souvent qu'à partir de 3500 m. Certaines personnes ont leur organisme naturellement adapté à la haute altitude (entre 5000 et 6800 m). Ce n’est qu’après que cela devient vraiment dangereux, mais alors ce ne sont généralement pas des trekkeurs qui sont confrontés à ces difficultés, mais une autre catégorie d’amoureux des montagnes que l’on appelle «  alpinistes ». C’est une tout autre classification de sportif, que le simple trekkeur que je suis. Pour vous expliquer en deux phrases la différence entre un trekkeur et un alpiniste : nous étions (Pascale et moi) dans l’ouest du Népal au camp de base des Annapurnas, alors que les sommets étaient nuageux, les alpinistes qui attendaient le beau temps pour pouvoir commencer leur ascension, n’ont trouvé rien de mieux, pour combler leur attente, que d’organiser un match de volley. Le spectacle était surprenant, mais tout était dit sur la condition physique de ces hommes !! 
Pour terminer sur le sujet, voici le taux d’oxygène que l’on retrouve par palier : niveau de la mer 100%, 1000m 88%, 2500m 73%, 3000m 64%, 4000m 60%, 5000m 53%, 6000m 47%, 7000m 41%, 8000m 36% et le sommet de l’Everest 8848m 33%.
Loin de toutes ces activités fatigantes, je suis plongé dans le seul bouquin que j’ai pris avec moi. C’est un livre du Dalaï Lama au titre évocateur « L’art de la compassion », atteindre la sérénité, le calme et la sagesse. Selon le bouddhisme, la compassion est la chose la plus importante. Le Dalaï Lama dit sur le sujet que cultiver une attitude de compassion a l'effet d'ouvrir l'esprit. Avoir un esprit calme et compatissant nous permet d'utiliser notre intelligence naturelle plus efficacement. Sans une perspective plus globale, il est difficile d'apprécier la réalité d'une situation donnée, sans que toute action que nous prenions soit irréaliste et donc inefficace.
Par ces conseils, on comprend que le bouddhisme est non seulement une religion, mais aussi une façon de vivre. Malheureusement, débarrasser le monde des malheurs qui l’accablent paraît une tâche dépassant nos forces, puisqu’il n’existe pas de baguette magique qui puisse transformer l’affliction en bonheur. Nous pouvons, en revanche, faire progresser notre esprit sur le chemin de la vertu et aider notre prochain à faire de même par différents moyens comme la méditation sur la compassion.
Voilà vers quoi j’aspire en ce début d’aventure. C’est d’ailleurs pour cela que je vais aussi passer sur le site de l’ermitage d’Urgyen Dzong. Puisque cette année, selon les calculs de Jean-Louis Taillefer, je devrais y être le jour d’anniversaire de la naissance de Padmasmbhava (les tibétains l’appellent Pema Jungne et les ladakhis Guru Rinpoche qui signifie Précieux Maître). Ce qui donne lieu à un grand rassemblement. Je suis très curieux de voir cela et ça me changera des fois où je me retrouvais seul sur le site pour passer la nuit dans une des grottes naturelles de méditation, où Padmasambhava y aurait médité pendant plusieurs années.
Palmo vient me demander ce que je voudrais manger ce soir ? Bien que sa spécialité soit les momos, hélas la préparation en est trop longue, je lui réponds que j’aimerais, soit une thukpa ou une thenthuk vegetable. Par expérience, je sais que sa cuisine est excellente, je ne me fais donc pas trop de soucis pour le repas de ce soir. Mais l'envie de me faire plaisir est trop forte pour Palmo et elle décide quand même de me faire des momos pour ce soir ........ la thukpa sera pour demain !!!!



Avant que le soleil ne soit trop bas, je monte au Lhankhang (temple). De la plateforme devant le temple, on a une vue panoramique sur le hameau. Je profite pour faire un peu de yoga face au soleil couchant. C’est une version du soir de la salutation au soleil (Surya Namaskara), pour continuer sur une autre série appelée les cinq tibétains et terminer sur la petite salutation à la lune (Shandra Namaskara). Le programme est alléchant et il me fera passer une nuit encore plus paisible. Que demander de mieux ?!
Au repas, nous sommes trois, Palmo, Abalé (papa) et moi, mémé Serge (grand père Serge) à cause de ma barbe blanche. Il n’y a qu’un peu plus de trois années qui séparent mes deux visites dans la famille. Je suis toutefois très heureux de pouvoir constater qu’Abalé est, malgré son âge avancé, toujours en pleine forme. Visiblement, le plaisir est partagé et nous échangeons nos nouvelles respectives avec le même engouement pendant que la casserole de momos est toujours sur le feu. La fin de la cuisson ne serait plus trop tarder car les arômes de ce plat typiquement tibétain envahissent toute la pièce. Hélas, les nouvelles du village ne sont pas réjouissantes, puisque voici deux jours, il y a eu une grosse coulée de boue. Bien heureusement, aucune maison n'a été touchée, mais plusieurs champs ont été ravagé.
Pendant que nous mangeons les momos qui sont accompagnés d’un bouillon de légumes dans lequel je peux ajouter quelques épices suivant mes propres goûts et y faire tremper les momos pour que toutes les saveurs se dispersent encore mieux dans la bouche. C’est un véritable délice et j’apprécie d’autant mieux cette bonne spécialité du coin vu que je suis quand même quelque peu au bout du monde. Il ne manque que la bouteille de vin pour rivaliser avec les tables de restaurant « Comme chez soi » de Bruxelles. 
Je profite pour demander à Abalé s’il serait envisageable de rejoindre le village d’Ursi via le Tar La, si tôt dans la saison ? Il me répond que cet hiver, il y a eu beaucoup de neige au Ladakh et qu’il y a même eu dans la vallée du Dha, qui est pourtant une vallée généralement épargnée de ce genre d’intempérie. Il me dit aussi que la neige est tombée dès la fin du mois de janvier et que pendant les jours qui ont suivi, il a fortement gelé. Le résultat de ces conditions atmosphériques est que cette neige est encore sur tous les hauts sommets et le Tar La ne fait pas exception. Autrement dit, il me conseille vivement, que lorsque je quitterai le village, de repartir sagement par les gorges et de prendre le bus à Nurla pour Lamayuru. Entretemps, Palmo nous a apporté deux tasses et une cruche remplie de tchang qui nous aidera à « sceller cet accord de sagesse ». Il ne nous faudra pas plus de trente minutes pour constater que le tchang s’est bel et bien évaporé de la cruche ! Il est maintenant grand temps pour Abalé d’aller dormir, vu que le feu du fourneau, s’est lui aussi mis en veille et que la température dans la pièce commence sérieusement à descendre. Je salue le papa, quand à Palmo, il y a déjà quelques minutes qu’elle s’est endormie sur un des cousins qui longe un des murs de la cuisine. Je suppose qu’elle ira dans sa chambre dès que le froid la réveillera.    
De mon côté, je ne peux me résoudre à me coucher. Les nuits étoilées dans l’Himalaya sont trop belles et le silence trop impressionnant pour que je me prive de ces instants magiques. Je profite de ce premier moment de solitude pour contempler la voute céleste afin d’escompter y apercevoir une étoile filante. Mais le froid commence peu à peu à m’engourdir. Pourtant le spectacle qui se trouve au-dessus de ma tête ne m’incite guère à rejoindre les bras de Morphée. Je choisis donc de faire une dernière position de yoga dans l’unique but de rallonger ce bon moment de quiétude. La seule qui me semble la plus appropriée, c’est celle de la montagne. Je campe solidement sur mes jambes, pour sentir le poids de mon corps afin d’avoir le meilleur contact avec la terre, cette bonne terre qui me porte et m’élèvera encore plus près du ciel d’ici quelques jours. Très vite, je m’évade encore  plus vers les étoiles qui brillent par milliers dans l’univers. Comment peut on croire que le paradis est au-delà de cette vie terrestre. Il est là et je n’en veux pas d’autre. Je vous le dis, l’Himalaya ne peut apporter que du bonheur et nous aider à nous faire lâcher prise pour ne plus penser à rien. Bonne nuit à tous.
De la fenêtre de ma chambre, je contemple les premières lueurs du jour qui sont enrobées d’une brume révélant peu à peu les alentours de la maison. C’est à ce moment-là que j’aperçois un arbre, un champ où l’orge se balance au gré du vent et une maison voisine à la nôtre. Il me semble même apercevoir une forme humaine venue de je ne sais d’où. Y aurait-il un autre voyageur dans le hameau ou est-ce simplement Palmo qui va déjà porter un sac d’orge grillé au moulin ? La forme est peu distingue et en s’éloignant, elle disparait totalement. Je commence à croire que la forme passagère ne fut rien d’autre qu’une invitation à poursuivre mon voyage dans la même direction qu’elle, c’est-à-dire le Tar La. Je suis décontenancé par cette fausse bonne idée, même si au fond de moi, je sais très bien qu’il serait plus judicieux de suivre les conseils du papa, plutôt que de me lancer corps et bien, sur l’invitation d’une ombre inconnue, à l’assaut d’un sommet aussi difficile que le Tar La. Alors pour mieux me rafraichir les idées et bien qu’il fasse encore frisquet, je décide d’aller jusqu’au ruisseau pour faire un brin de toilette. Pas évident de se laver alors que le ruisseau n’est que d’innombrables filets d’eau  serpentant entre les pierres et descendant directement des cimes des montagnes avoisinantes. Un constat s'impose d'emblée : s’il y a si peu d’eau dans le lit du ruisseau, c’est qu’il doit, effectivement, avoir encore beaucoup de neige sur les plus hauts sommets qui nous entourent. Le brin de toilette terminé, je suis complètement frigorifié par l’exercice  que je me suis imposé de si bonne heure. Illico presto, je rejoins ma chambre et mon sac de couchage afin de réchauffer ma vieille carcasse. Le spectacle que je laisse doit être pittoresque. Ainsi emmitouflé, j’ai l’impression de m’être transformé en momie recroquevillée, un peu comme celle du supposé Sangha Tenzin qu’on a retrouvée au Spiti en 1975. Le mort transi de froid que j’étais, ressort peu à peu du fond des ténèbres. Je dois bien reconnaître que j’ai parfois des idées (bizarres) qui font froid au dos ! C’est comme le genre d’aventures que j’entreprends. Combien de personnes ne me demandent-ils pas : tu n’as pas peur de partir comme cela tout seul dans la montagne, tu fais quoi s’il t’arrive quelque chose ? Là aussi, ça fait froid dans le dos pour certains, car ils me disent bien souvent : c’est formidable, mais je ne pourrais pas faire ce que tu fais ! C’est un peu vrai, mais il faut bien avouer qu’alors on ne fait plus rien et qu’on n’a plus qu’à attendre sagement la paix éternelle dans son fauteuil devant la télévision à regarder, pour rêver un peu, cette belle émission d’Antoine de Maximy cherchant quelqu’un pour aller dormir chez lui ! Que c’est beau d’être Homme puisque nous sommes suffisamment doués d’intelligence pour se frayer son propre chemin dans le labyrinthe de la vie. Pourquoi pas alors celui de bourlingueur plutôt que celle de pantouflard. Et si ma vie devrait s’arrêter tout net au détour d’un passage scabreux ou d’une traversée à gué, ce serait alors sans trop de regret que celui de laisser ma Pascale dans la tristesse.
Puisque des effluves de thé ladakhi arrivent jusqu’à la chambre, il est temps d’aller gouter ce bon thé qui ne laisse jamais les voyageurs indifférents. Pour certains, cette potion est bonne, alors que d’autres vous diront qu’ils ne peuvent même pas en boire les jours de grande soif. Pour vous donner l’eau à la bouche, je vais vous dévoiler la composition et la préparation de ce thé bien particulier que l’on appelle ici « guugur tcha ». Le mot guurgur vient du bruit que le thé fait dans la baratte lorsqu’il est mélangé avec tous ses ingrédients. Il s'agit de thé longuement bouilli dans un chaudron, mélangé ensuite à du beurre dit "de yak", de sel et d’une pincée de soude. Ce thé se boit à tout moment de la journée, du petit déjeuner au souper et lorsque l’on a faim, on met directement un peu de tsampa dans sa tasse. C’est là que le thé se transforme en une sorte de soupe qui calle l’estomac pour de longues heures. Maintenant, je vais à la cuisine. Lorsque j’arrive, Palmo m’accueille avec un petit sourire narquois tout en me disant, I'll give you a hot tea directly, that will do you the greatest good ! En français dans le texte : je vais te donner directement un thé bien chaud, cela te fera le plus grand bien ! Je lui dirais bien, man julley (non merci) afin de répondre à ma façon à son petit sourire, mais franchement, je ne peux pas car j’ai eu beaucoup trop froid !!
Au menu du petit déjeuner : omelette, tagi (pain), confiture, beurre et thé. Rien que du bon pour commencer une journée qui s’annonce sous les meilleures auspices. Dans un premier temps, j’irai voir pour les dégats de la coulée de boue et après, j'irai me balader dans l’autre partie du hameau, celle qui va me conduire à l’intersection de deux vallons. Celui de gauche ne mène nulle part, tandis que celui de droite va plein sud vers deux maisons où je dois apporter dans la dernière, des photos à une dame sympathique, ayant toujours, comme coquetterie, une petite fleur dans les cheveux. Ces photos ne datent pas d’hier (2012), mais lors de  mon dernier passage ici, cette dame m’avait informée qu’elle n’avait jamais reçu les photos que je lui avais pourtant envoyées. Je les ai donc refaites en me disant que j’allais cette fois les lui porter moi-même. Elle sera sûrement très étonnée de les avoir aujourd’hui ! Après ma visite, j’ai l’intention de trouver un coin ensoleillé, afin de lire un peu et même noter quelques impressions dans mon carnet de route. Sur les chemins de traverses himalayens, l’imagination n’est que trop débordante, pour avoir assez d’images dans la tête et les retracer sur autant de feuilles blanches et en faire, du même coup, un récit, peut-être intéressant, afin de le faire lire aux amis plutôt que de leur montrer les éternelles photos de mes aventures. 
De toute évidence, je me sens très bien dans la famille Kutipa et c’est dans cet endroit magniphique que mon corps se prépare à affronter les hautes altitudes. C’est heureux ainsi, car l’acclimatation est une étape importante pour moi, vu que j’ai tendance à faire des apnées ou pauses respiratoires durant le sommeil, ce qui aggravent l’hypoxie en altitude. Je ne sais d’ailleurs pas exactement depuis combien de temps je souffre de cette anomalie, car celui qui en souffre n'a forcément pas conscience de ses troubles et c'est forcément l'entourage qui l’informe. Pour moi, cet entourage ne fut pas Pascale, car visiblement je n’ai pas ces ennuis dans le plat pays qui est le mien. Ce fut donc un ami avec qui je partageais la chambre, justement ici à Tar, qui m’a signalé le problème. Je ne sais d’ailleurs pas trop si cet inconvénient persiste, puisque je ne partage que très rarement ma chambre avec un autre trekkeur, mais inconsciemment, j’y fais quand même attention.
Je démarre donc ma journée comme je l'avais prévu en allant voir cette fameuse coulée de boue. Losque j'arrive sur place, je constate que certains habitants ont eu beaucoup de chance car le glissement n'est pas passé très loin de leur maison.




Après ces images de désolation, je prends à présent la direction de la deuxième partie du village. Dans un premier temps, je dois faire attention où je mets les pieds car la rivière qui traverse le village c'est transformé en un véritable torrent. 

  Heureusement cela s'arrange très vite et la balade devient nettement moins sportive. Inévitablement, je jette un coup d'oeil sur le sommet du Tar La et je me dis qu'il serait vraiment dommage de ne pas faire cette montagne cette année. Je veux bien admettre qu'en cette période, il n'est pas bon d'y aller, mais je vais voir si je ne pourrais pas le faire en fin de voyage !

Sur ce, je fais demi-tour et je retourne vers la maison. Lorsque j'arrive, je fais la connaissance d'une française qui se nomme Cynthia. Elle est en compagnie de Tashi et Palmo et elle me propose de partir sur un des sommet qui domine le village afin d'y déposer des drapeaux à prières. L'idée me semble bonne, même si je ne me sens pas encore tout à fait prèt pour ce genre de balade très sportive. Mais je ne fais évidemment pas le poids contre trois femmes qui ont vraiment envie de déposer ces drapeaux à prières pour que le village soit à l'abri d'autres coulées de boue ! Nous voilà donc partis avec les fameux drapeaux.

 La montée s'annonce directement difficile. Nous sommes très vite à court d'haleine, surtout moi qui ai encore pas mal de kilos en trop !
Heureusement, la volonté d'arriver au but est là et après trois heures d'efforts, nous arrivons en vue du sommet.




Les drapeaux flottent allègrement au sommet de la montagne et visiblement Palmo est fière de son coup !!
En tout cas, nous sommes très au-dessus du village.


En redescendant, nous ferons un crochet au monastère.


 Décidément, le temps passe trop vite lorsque je suis ici. Demain, je reprendrai la route pour le village de Lamayuru et son formidable monastère pour ne pas prendre le risque de rater mes deux grands rendez-vous en ce début de voyage. Le premier, j’en ai déjà parlé, c’est la fête sur le site d’Urgyen Dzong et le deuxième, encore plus important, la visite du Dalaï Lama à Padum. Evènement que je ne voudrais manquer pour rien au monde, car voir le Dalaï Lama à quelques mètres de soi, est quelque chose de très fort et complètement indescriptible. Cet homme dégage une telle sérénité que rien qu’un simple regard de sa part vous marque pour toute la vie.