mercredi 21 juin 2017

Leh

Leh, chef-lieu du Ladakh dans l’Etat Jammu & Cachemire, est une ville située à l'extrême nord de l'Inde, blottie entre deux voisins envahisseurs, le Pakistan et la Chine. De tout temps, Leh a été jusqu’à la fin des années 50, un important carrefour pour les caravanes des marchands qui arrivaient des régions les plus lointaines. Voilà pourquoi on trouve ces trois lettres, LEH, sur toutes les cartes d’Asie, même les plus anciennes. Aujourd’hui, Leh n’est évidemment plus la plaque tournante du commerce, mais elle est devenue en quelques années, tout comme Katmandou, la Mecque des trekkeurs du monde entier.
Le centre-ville n’est pas bien loin de l’aéroport, il n’y a guère plus de cinq kilomètres. Lorsque je suis bien habitué à l’altitude, je fais le trajet à pied. Aujourd’hui, je pense qu’il serait bien hasardeux d’entreprendre un tel effort, nous sommes quand même à 3500 mètres d’altitude !
Je monte dans le premier taxi et je demande au taximan de me conduire au centre-ville. Il n’est que sept heure et demie et vu l’heure matinale, il ne faut pas plus d’un quart d’heure pour y arriver. Une fois sur place, je dois trouver une Guesthouse. J’avais l’habitude d’aller au Ti-Sei, mais j’ai envie de changer un peu d’air et d’aller voir la Guesthouse se trouvant un peu plus haut dans la même ruelle. La dernière fois, la propriétaire m’a si souvent dit gentiment julley lorsqu’elle se trouvait devant sa porte, que j’ai bien envie d’aller y jeter un coup d’œil. Le confort ne doit sûrement pas être très différent qu’au Ti-Sei, puisque, c’est aussi tenu par une famille ladakhie. Si mes souvenirs sont bons, la guesthouse porte le nom du quartier « Malpak » !
Lorsque je me trouve devant le portail, je constate que ma mémoire ne me fait pas défaut et que  c’est bien la guesthouse Malpak qu’il y a écrit. L’heure est fort matinale et la porte est évidemment encore fermée et je tambourine dessus pour me faire annoncer. Au bout de quelques minutes, c’est la brave dame qui vient ouvrir. Les julley et le sourire sont très accueillants et elle me propose directement de rentrer dans la petite propriété.

Du jardin, je découvre directement la maison. La demeure est simple, dans le plus pur style ladakhi, avec une grande fenêtre de coin, aux châssis en bois aux couleurs brunes. Petit détail amusant, les ladakhis ne sont toujours pas passés maître dans la finition du travail, car il y a toujours autant de couleurs sur les châssis de fenêtres que sur les carreaux ! Passé la porte d’entrée, je me retrouve dans un couloir donnant accès à  différentes pièces qui sont réservées à la famille tandis que les chambres pour les voyageurs sont à l’étage et dans un autre bâtiment qui longe le jardin. Les chambres sont simples, tranquilles et propres. C’est ce que je recherche et je décide donc d’y déposer mes bagages. 
De toute manière, je n’y resterai que deux, voire trois nuits tout au plus. Juste le temps de m’acclimater à l’altitude et de retrouver avec un certain plaisir quelques personnes au centre-ville qui me sont familières. Après, je n’aurai qu’une hâte, celle de commencer au plus vite cette aventure qui me tient tellement à cœur. 
Seul dans la chambre, je vais pouvoir à présent déballer mes affaires et me reposer un peu. Mon sac est à peine ouvert que la brave dame est déjà de retour avec un thermos de thé, en guise de bienvenue. Geste que j’apprécie tout particulièrement après ce long voyage et je la remercie d’ailleurs avec un grand julley. Je déguste mon thé, tout en étalant mes affaires dans la chambre. Peu à peu, la petite chambre désuète se personnalise, à tel point que je me sens à présent un peu comme chez moi. Je décide à présent de m’allonger une petite heure avant d’aller faire un tour dans Leh et de passer un coup de téléphone à Pascale afin de lui dire que le voyage s’est bien passé. Hélas, j’ai beau être confortablement installé, il m’est impossible de trouver le sommeil. Les yeux fixés au plafond, je pense inévitablement à cette aventure qui m’attend dans les prochains jours et qui va me plonger une nouvelle fois dans ces montagnes himalayennes. A part des traversées de villages et les visites dans les gonpas, je serai coupé du reste du monde pendant presque quatre-vingt-cinq jours, occupé à marcher sur des chemins qui m’élèveront chaque jour un peu plus vers le ciel.
A cet instant précis, sans trop savoir pourquoi, je pense à mes ennuis de tendinite qui m’ont fait arrêter un autre trek. J’ose espérer qu’elle ne reviendra pas rejouer les trouble-fêtes ! J’ai beau avoir mis toutes les chances de mon côté pour éviter que ce problème ne revienne, mon kiné m’a prévenu que c’était sans garantie. Mais est-ce pour cela que je ne dois plus rien entreprendre ? Evidemment que non, ne vaut-il pas mieux réaliser ses aventures, plus tôt que de les rêver !
Bon, assez gambergé comme ça sur mes hypothétiques problèmes, je ne dormirai quand même pas et décide de me rhabiller et d’aller jusque chez Tashi pour boire un thé et manger une « vegetable omelet » dont elle a le secret. Afin de me dégourdir les jambes et respirer l’ambiance de la ville, je choisis de faire le grand tour par l’Old Fort Road pour me retrouver dans Moti Market et remonter ainsi la Main Bazaar road. C’est la principale artère de Leh qui est devenue, depuis mon dernier passage, une rue piétonnière. 

 Longue et large, elle s’arrête tout net au pied d’une colline où trône une énorme bâtisse aux lignes sobres, « Le palais royal » dominant de ses neuf étages toute la ville. 


De chaque côté du bazar, on retrouve une multitude d’échoppes, presque toutes tenues par des kashmiris de Srinagar. Sur les trottoirs, un autre commerce traditionnel est aussi présent, celui de la vente de légumes que les femmes ladakhis ont récoltés dans leur jardin. Elles sont là toute la journée assises en tailleur. Le matin, lorsque le soleil se lève, elles sont sur le trottoir de gauche et dans l’après-midi, elles traversent la rue, pour se réinstaller sur le trottoir d’en face afin de garder les légumes dans la fraîcheur de l'ombre. Je rappelle que Leh est ville d’altitude et que le soleil y est particulièrement chaud en été.    
Sur le côté gauche de la rue, se trouve la mosquée chiite (Imanbara) avec son dôme ou flotte allégrement undrapeau noir, tandis que celle des sunnites (Jama Masjid) se trouvait tout au fond du bazar, bien blottie sous le palais royal, mais aujourd’hui elle a dû être démolie car elle se fissurait de toute part. A noter, qu’une autre très vieille mosquée chiite (Tsas Soma Masjid) se trouve dans la ruelle des boulangers. 


Bien que le Ladakh, le Zanskar et le Spiti soient des régions majoritairement bouddhiques, les musulmans ont obtenu lors de  l’indépendance de l’Inde en 1947 de Mahatma Gandhi, l’autorisation de faire les appels à la prière dans tout l’état du Jammu et Cachemire. Comme politiquement, le Ladakh fait bien partie du Cachemire indien oriental, voilà pourquoi nous entendons, encore aujourd’hui, cinq fois par jour ces appels à la prière. Il faut quand même souligner que c’est une spécificité unique au monde : dans aucun autre pays non musulman, cet appel n’est autorisé. L’avantage de cette agression sonore made in muslim, c’est que je sais qu’au troisième appel de la journée du Muezzin, il est l’heure pour moi d’aller manger. C’est déjà ça !!
Le bouddhisme compte plus de 6 millions de pratiquants en Inde, ce qui peut paraître peu sur le 1,34 milliard d'habitants que compte le pays, mais la majorité des bouddhistes vivent dans l’état du Jammu et Cachemire. C’est logique puisqu’ici, au Ladakh, au Zanskar et plus bas, au Spiti, nous sommes plus près de l’ex Tibet que de Delhi. Côté temple, les bouddhistes ne sont évidemment pas en reste et ont eux aussi temples et gonpas, non seulement ici à Leh mais aussi dans les trois régions que j’ai citées plus haut. Pour ceux qui sont à Leh, je commencerai par parler de celui qui est dans Main Bazaar, le Jokhang gonpa. Il a été construit en 1956 pour célébrer le 2500éme anniversaire de la naissance de Bouddha. Il abrite une image du Bouddha Sakyamuni, le Bouddha historique, ramenée du Tibet en 1959, année où le Dalaï Lama a dû fuir son pays. Ce temple-là est facilement visitable, car contrairement aux autres de la ville, il est toujours ouvert et bon nombre de tibétains y viennent constamment pour prier. Les autres temples bouddhiques sont dans les vieux quartiers de la ville, pas très loin du royal palace. Il y a le Red Maitreya temple, le Soma gonpa et le Chenrezi Lhakhang. Celui qui se trouve en haut du Palace, c’est le Namgyal Tsemo gonpa. Comme je vous le disais, il est inutile de vous y précipiter car j’y suis passé de nombreuses fois et j’y ai toujours trouvé porte close. Impossible de savoir pourquoi.
Derrière les échoppes du bazar moderne, se cache un autre monde. Ce sont des ruelles étroites qui serpentent parmi les bâtiments de briques, s’enfonçant parfois sous les maisons ou cheminant le long de hauts murs. C’est dans ce labyrinthe qu’on trouvait autrefois « la rue du tchang », le tchang étant une bière à base d'orge fermentée. C’est là qu’aimaient se retrouver tous les caravaniers pour faire la fête après des semaines, voire des mois à voyager sur des chemins où le danger était permanent. Comme le disait le grand Jacques : « il faut bien que le corps exulte » !! Aujourd’hui, il n’y a plus rien qui témoigne de cette période, puisque depuis quelques années, le tchang est interdit à la vente, même si en cherchant un peu, il y a moyen d’en trouver sous le manteau.
Déjà une heure que je marche et l’altitude m’empêche de trouver mon souffle. Je décide de ne pas poursuivre ma balade et de me diriger directement chez Tashi. La porte du petit resto est à peine entrouverte, j’entends des grands julley julley sortir de la cuisine et aussitôt Tashi vient m’accueillir tout en me tendant ses mains qu’elle vient d’essuyer à son tablier. How are you ? I'm fine and you !? Very good, thank you. Sit you en me montrant une table libre et en retournant à la cuisine pour faire un thé. En attendant que l’eau chauffe, Tashi revient en me demandant : You're alone, madam (Pascale) is not here ? Not this time ! Next time ? Yes next time !
Le thé est excellent, mais après les petits plats « dégueux » de la compagnie qui m’a transporté jusqu’en Inde, mon estomac crie famine et je commande, non pas, une « vegetable omelet » mais des « Browned potatoes with garlic and vegetables ». Cela ne va déranger personne, puisque cette nuit, je suis « alone » !! L’assiette vide, je redemande un deuxième thé pour faire descendre, ce que j’appellerais en tout bien tout honneur, « le casse-dalle sauveteur ».  
D’où je suis placé, j’ai une vue sur Main Bazaar pedestian road. Comme toujours, il y a beaucoup de monde qui déambule parmi les échoppes. Au travers de la foule qui arpente le lieu, il me semble reconnaître la couleur bien spécifique d’un blouson reconnaissable entre mille. A bien y regarder, je me rends compte que je ne me suis nullement trompé et que c’est bien mon ami Jean-Louis qui arrive. Inutile de sortir pour l’appeler et l’inviter à venir boire un verre,  puisque de toute évidence, il se dirige par ici. Nous nous réjouissons de nos retrouvailles car la dernière fois que nous nous sommes vus, cela nous fait remonter la vie de plus de deux ans et demi, alors que nous trekkions entre le village de Zangla et celui de Shade. Un sacré souvenir, aussi bien du côté aventure avec un grand A, que sur le plan humain. Si aujourd’hui, on se retrouve, ce n’est évidemment pas une grande surprise, puisque nous restons constamment en contact et c’est d’ailleurs avec lui et grâce à son expérience du Ladakh que nous avons mis sur pied le circuit que je m’apprête à entreprendre.  Nos sujets de conversations sont principalement les régions bouddhiques d’Inde. Nous avons toujours plaisir à nous échanger les informations et les bons plans pour aller voir tel ou tel site incontournable et pas forcément connu de tous. Pour être tout à fait sincère, je suis sur ce sujet, plus souvent l’élève que le professeur, puisqu’avec ses trente ans d’expérience dans la région, je ne fais évidemment pas le poids !! Il y a aussi un autre « spécialiste » du genre, un dénommé Gilles, qui est tout aussi un fin connaisseur que Jean-Louis, voire plus, vu qu’il sait parler le tibétain, ce qui est sans nul doute un énorme avantage pour collecter des éclaircissements dans les gonpas et villages. Je vous laisse d’ailleurs imaginer les tuyaux que ces deux-là peuvent vous donner lorsqu’ils sont réunis à la même table. Aujourd’hui, nous ne sommes que deux, mais Jean-Louis me dit que Gilles est en ville et qu’il va sûrement passer par ici. En attendant, on se partage les derniers détails que nous avons mis au point pour nos périples respectifs. Nous savons que lorsque nous aurons quitté Leh, il sera plus difficile de se revoir, car nos chemins ne se croiseront plus et je ne rentrerai plus à Leh avant le 28 août. Jean-Louis m’approuve en me disant que chaque jour passé à Leh est un jour de moins passé au Ladakh. Pas étonnant qu’il me dise cela car la ville n’a sûrement plus rien à voir avec la ville qu’il a connue, il y a plus de trente ans. Mais, à ma grande surprise, il me dit aussi qu’il a revu mon programme ces derniers jours et il est fort probable qu’on se retrouve à Shade car il aimerait continuer le bout de chemin avec moi vers le Tsomo Riri, mais que lui, s’arrêterait à hauteur de la route Manali Leh pour revenir ici avec un moyen de transport. La proposition est alléchante et je lui dis que de toute façon, je resterai chez Rigzing au moins deux voire trois jours avant de poursuivre l’aventure. Question de mieux gérer la fatigue et pouvoir espérer d’aller cette fois jusqu’au bout de mon programme. Ce que j’avais fortement déploré ne pas avoir bien fait la dernière fois. On aura de ce fait, plus de chance de me trouver là-bas. Le rendez-vous est donc pris.
Entre temps, Gilles entre à son tour chez Tashi. Hélas, le temps passe trop vite et j’ai juste le temps de le saluer et de prendre de ses nouvelles car je voudrais quand même me reposer un peu à la guesthouse avant le repas du soir. Repas que nous avons, Jean-Louis et moi, l’habitude de prendre au Wok vers les 18h30. C’est notre petit resto lorsque nous sommes en ville. Quant à Gilles, inutile de prendre rendez-vous, comme il est encore plus solitaire que nous, on a plus de chance de retrouver un peu au hasard dans les rues de Leh. Je retourne maintenant dans ma chambre en espérant cette fois pouvoir faire une sieste réparatrice jusqu’à l’heure du rendez-vous de ce soir.
………………. Cette fois j’ai dormi comme un loir. Tellement bien, que si je veux arriver à temps au wok il me faut partir au plus vite. Heureusement que la guesthouse ne se trouve pas dans Changspa, je devrais alors marcher pendant vingt-cinq minutes avant d’arriver au resto tibétain, alors que depuis Malpak, je n’ai que la Fort Road à monter. Lorsque j’arrive devant la maison du Wok, il me faut encore monter quatre longues volées d’escaliers avant de franchir la porte de la salle du restaurant. Jean-Louis est déjà attablé et jette un œil sur la carte. Ici pas de menus « occidentalisés », rien que des spécialités tibétaines, comme les traditionnels Thukpas, Thenthuks, Riuchotse mutton, vegetable momos, mutton momos ….etc. Je ne voudrais pas terminer ce condensé de plats, sans oublier de citer celui  qui nous fait tellement plaisir lorsque l’on rentre de trek, c’est le fameux fried eggs with chips, même si ce plat n’est pas tout à fait tibétain. Mais pour ce soir, je vais prendre une vraie spécialité de la maison, un Tibetan vegetable chow mein, comme dessert un curd with sugar avec un ginger lemon tea. Ce sera parfait pour moi. Quant à Jean-Louis, dessert et boisson c’est comme moi, tandis que pour le choix du plat, il fait comme s’il était revenu de trek et se prend un fried eggs with chips.
Ce matin, le soleil illumine depuis longtemps ma chambre quand je me décide enfin à me lever. Il y a des jours où il faut bien se faire plaisir et profiter de l’aubaine pour récupérer un peu de ces heures d’avion où il m’est impossible de pousser un somme. C’est dire que les voyages sont longs pour moi ! La grasse matinée terminée, je vais pouvoir prendre le petit déjeuner. Après, je filerai directement au village pour enfants tibétains de Choglamsar, afin d’y déposer le colis de médicaments que j’ai pour l’infirmerie (médicaments qui me sont offert par mon pharmacien à Bruxelles). Ce centre a vu le jour dès les premières années qui ont suivi l’occupation chinoise du Tibet, entraînant ainsi le début du génocide du peuple tibétain. Cela poussa, bien évidemment, à l’exode des milliers de réfugiés, vers l’Inde, le Bhoutan et le Népal. Le dernier recensement effectué par l’Administration centrale tibétaine (ACT) en 2009, estime la population de l’exil à 127 935 personnes, dont 94 203 Tibétains vivant en Inde, 13 514 au Népal et 1 298 au Bhoutan. En dehors de ces trois pays, le nombre de Tibétains recensés est de 18 920 établis principalement en Amérique du Nord (11 112 personnes) et en Europe (5 633 personnes) dont 3000 en Belgique et 2000 en France. Des chiffres effrayants, mais hélas sous-évalués, puisque le rapport de l’ACT estime que près d’un quart des Tibétains vivant en dehors de leur pays n’ont « pas pu ou pas souhaité » prendre part au recensement. Ces chiffres à eux seuls donnent assurément l'ampleur du désastre, surtout lorsque l’on sait que la population tibétaine en Région Autonome du Tibet (RAT) ne compte plus que 2,7 millions de personnes, alors qu’ils étaient 6,4 millions en 1950. A cette allure-là, dans 10 ans, le génocide sera totalement achevé et on ne parlera même plus des tibétains au Tibet. Au premier problème s’ajoute un deuxième : depuis des siècles, l’étendue géographique du plateau tibétain dépassait largement cette seule « région autonome », puisqu’il débordait sur les provinces voisines du Qinghai, du Gansu, du Sichuan et du Yunnan. Le haut-plateau tibétain remontait également vers le sud, jusque dans les régions du Ladakh, Spiti, Zanskar, Sikkim, Arunachal Pradesh (en Inde) au Baltistan (au Pakistan), ainsi qu’au Bhoutan et tout le nord du Népal, comprenant, entre autres, le Mustang et le Dolpo. Les chiffres sont là, le Tibet historique comptait plus de 2,5 millions de kilomètres carrés, alors qu’aujourd’hui, il a été amputé de près de la moitié de sa superficie par les autorités chinoises, pour ne faire plus que 1 221 600 km².  Si le dalaï-lama s’y réfère à chaque fois qu'il parle du Grand Tibet, il a raison. Les Chinois, quant à eux, renvoient invariablement à la Région autonome du Tibet (RAT) lorsqu'ils parlent du Tibet; ils ont effectivement tout intérêt à faire oublier les différentes amputations qu'a subies le Grand Tibet bien avant les années 1950.
Ce matin, par le plus pur des hasards, le petit resto de Tashi s’était transformé en un lieu de rencontre. Il y avait Jean-Louis, Gilles et moi autour de la même table. Après avoir parlé de nos nouvelles, nous avons débattu sur un hypothétique avenir d’un Tibet libre. Je demandais à Gilles si le Dalaï Lama n’avait pas l’intention de faire du nord du l’Inde, une sorte de « nouveau Tibet » ? Il me répondit que le peuple tibétain n’avait pas toujours été, un peuple de « tourneur de moulin à prières », qu’ils avaient fait la guerre durant des siècles avec la plupart de ses voisins pour pouvoir construire ce grand empire et qu’il était clair que l’Inde n’allait jamais accepter sous une forme ou une autre, un nouveau Tibet chez eux. Toutes ces guerres successives ont laissé d’énormes traces en Asie, que ce soit en région Centrale, au Nord-Est ou au Sud et aucun pays ne voudrait donner une quelconque partie de son territoire pour créer un autre Tibet. Et il termina sur cette terrible phrase : tu sais, il n’y a qu’en Occident que la cause tibétaine génère autant de passions. C’est un fait et c’est bien dommage. D’ailleurs, le Dalaï Lama ne précise-t-il pas lorsqu’il parle de l’état du monde, qu’hélas, la guerre semble indissociable de l’histoire de l’humanité, pourtant, si nous observions la terre depuis l’espace, nous n’apercevrions ni démarcations ni frontières nationales. Nous ne verrions qu’une petite planète d’un seul tenant. Mais dès que nous traçons une ligne sur le sable, nous suscitons un sentiment de différence : d’un côté « nous « et de l’autre « eux ». Plus ce sentiment se développe, plus il nous masque la réalité de la situation.     
Après un lever tardif et un petit dej avec mes deux amis, il est grand temps pour moi de laisser cette bonne compagnie et de partir à Choglamsar pour y déposer le colis de médicaments. Ce village, où la plupart des habitants sont des réfugiés tibétains, n’est qu’à une petite dizaine de kilomètres de Leh. Pour y aller, je passe par la veille ville et descends dans le bas de la ville afin de rejoindre la route qui part vers l’est.


 





Arrivé au carrefour, j’attendrai qu’un bus ou un taxi collectif passe pour lui faire signe de s’arrêter. Cela devrait aller assez vite puisque Choglamsar est le premier village sur cette route et tous les véhicules prenant cette direction sont donc obligés d’y passer. Effectivement, cela ne tarde pas et en moins de cinq minutes, un taxi collectif s’arrête. Par contre, sur la route, les choses ne sont pas aussi bien. Au Ladakh comme sur toutes les routes en Inde, il est très difficile de circuler et en principe, les véhicules roulent à gauche, mais en réalité, ça roule partout et le clackson fait sûrement office de priorité. C’est dire la pagaille qui règne sur le bitume indien ! Encore heureux qu’au fil des années, on n’y prête plus trop attention et on fait comme si tout cela était normal. Après vingt-cinq minutes de ce folklore chronique, je peux faire arrêter le taxi. Lorsque j’arrive au portail du village des réfugiés tibétains, le garde me demande où je dois aller ? Je lui réponds « I have medication for pharmacy » ! Très gentiment, il m’explique que je dois remettre mon colis au secrétariat qui se trouve dans le deuxième bâtiment. Lorsque j’arrive au premier étage de celui-ci, je suis accueilli par une nonne avec des juley et je dis que j’ai des médicaments pour le centre. Thank you very much, I'll put myself to the doctor et la brave nonne m’invite à m’assoir pour boire un thé afin de me remercier. Ma mission est accomplie, j’éprouve, comme à chaque fois, un réel plaisir de satisfaction.
Avant de rentrer à Leh, j’ai envie de me balader dans les ruelles du bled. Ce n’est pas que Choglamsar soit un village très attrayant, mais l’ambiance y est particulière, puisque vivent ici plus de tibétains que de ladakhis. C’est d’ailleurs à Choglamsar que le Dalaï Lama fait ses enseignements lorsqu’il vient à Leh et ceux-ci se déroulent généralement devant 60 000 personnes rassemblées dans une énorme plaine où trônent les huit types de grands stupas renvoyant chacun à un événement majeur dans la vie de Bouddha. C’est ici qu’il y a déjà trois ans, le Dalaï Lama donnait l'enseignement du Kalachakra. Ce tantra est considéré dans le monde bouddhique comme l’un des plus importants, car il permet l’accès direct de chacun à la condition éveillée. Tout bouddhiste qui se respecte, doit au moins une fois dans sa vie, assister à cette initiation. C’est dire que pour l’occasion, les moines du  monastère de Karma Dupgyud Choling, gonpa qui se trouve juste en face du lieu de rassemblement, attendaient à l‘époque un nombre record de fidèles.
Je déambule à l’aise dans les petites rues. J’ai ainsi l’occasion de découvrir le travail des artisans, notamment des graveurs de mantra sur pierre, des peintres pour les tangkas et des sculpteurs pour les effigies de Bouddha. C’est toujours avec curiosité que je découvre le travail de ces artisans et leurs ateliers. Visiblement, eux aussi sont heureux qu’un touriste puisse s’intéresser à leur art. Sur quelques mètres carrés et avec des outils d’un autre âge, ces artisans parviennent à réaliser des œuvres que l’on croirait sorties tout droit des plus grands ateliers. Mais mon approche n’est pas qu’artistique, je porte aussi une attention toute particulière à ces rencontres, ces gens ont tellement de choses à nous apprendre que le temps passé avec eux, ne peut qu’être bénéfique. Je me souviens tout particulièrement d’une rencontre avec deux peintres tibétains qui restauraient des fresques dans le monastère de Karsha au Zanskar. Comme le contact passait bien entre nous, l’un d’eux a pris le temps de me raconter, sans aucune rancœur et à cœur ouvert, pourquoi, comment et à quel prix, il avait fui son pays. Il me racontât que vivre à Lhassa était devenu impossible à cause de la constante oppression chinoise, et que la décision de partir, il l’avait prise avec trois autres copains. Ils avaient entendu dire que la période hivernale était le meilleur moment pour espérer pouvoir passer la frontière par les hauts sommets himalayens, puisque les militaires chinois n’ont forcément pas toujours envie de rester en faction pendant les grands froids. C’est ainsi qu’en plein hiver, avec un simple sac sur le dos contenant quelques affaires personnelles, un peu de provisions et quelques yuans en poche, ils partirent dans le plus grand secret vers la liberté. Leur voyage a duré quatre semaines et lorsqu'ils arrivèrent enfin en Inde, après avoir franchi une série de cols tous à plus de cinq mille mètres d’altitude, un seul des quatre candidats à l’exil en est ressorti indemne, deux ont dû être amputé des deux jambes et de tous les doigts à cause du froid. Celui qui m'expliquait leur fuite, a dû lui aussi être amputé d'une jambe et ses deux petits doigts sont eux restés recroquevillés pour toujours. Voilà le prix qu’ils ont payé pour espérer à une vie meilleure. Mais combien d’autres n'ont-ils pas laissé leur vie dans ces montagnes ? Après avoir forcé cette chance pour pouvoir vivre une vie plus décente, tout être humain ne peut que respirer le bonheur et forcément, vous le faire partager, afin que vous puissiez à votre tour, vous contenter de l’essentiel « la liberté ».
Je termine ma promenade en m’arrêtant dans un boui-boui pour manger une tukpa avant d’aller visiter le gonpa Karma Dupgyud Choling. Ce monastère appartient à la secte des bonnets noirs de Lhassa. C’est d’ailleurs là qu’en 2012, nous avions, Pascale et moi, assisté à un des plus beaux festivals qu’il nous a été possible de voir au Ladakh. Le gonpa en lui-même n’a rien d’exceptionnel, il est beaucoup trop neuf pour que le visiteur y trouve une certaine atmosphère, mais par contre, l’ambiance du festival était particulière. Très peu d’instruments de musique, juste des dhyangros, quelques cymbales et occasionnellement des dungchens, ont suffi pour accompagner les danses des moines jusqu’à la destruction du symbole des mauvaises actions de l’année. Après cette journée haute en couleurs, nous étions projetés vers un univers encore plus lointain que celui dans lequel nous étions. Il faut noter que l’école Karma kargyud « l’école de la transmission orale » fondée au XIème siècle est très peu présente au Ladakh. A ma connaissance, il n’y aurait que deux monastères de cette tradition religieuse. L’autre gonpa est bien plus ancien que celui-ci et se trouve à Mahe, village tout à l’est du Ladakh, à vingt-cinq kilomètres de la frontière tibétaine.
Je décide de rentrer à Leh et de passer chez mon antiquaire de la Upper Tucha Road afin de voir s’il n’a pas quelque chose de bien dans sa boutique à me vendre.
Lorsque  j’arrive, Lobsang m’accueille à la tibétaine, c’est-à-dire, en joignant nos mains et en déposant son front contre le mien, tout en psalmodiant de nombreux julley.  It is a long time that you are not past ? Yes ! On s’échange quelques nouvelles, mais je ne peux résister longtemps à lui demander s’il a quelque chose pour moi ? Pas la peine d’en dire plus, il sait exactement ce que je veux, c’est-à-dire, des belles pièces uniquement tibétaines. J’achète chez lui en toute confiance, car je sais que ce qu’il me propose, ne sont pas des pièces volées dans les gonpas. Ce sont généralement des petits trésors familiaux venus tout droit du Tibet, dans les affaires de quelques exilés qui ont réussi à passer et qui vendent ces pièces pour se faire un peu d’argent en arrivant en Inde. 
J’ai déjà beaucoup réfléchi si c’était bien de ma part, de profiter ainsi du malheur des gens pour m’acquérir ainsi de l’art tibétain. J’en ai même parlé un jour à un moine et il m’a répond que si ces objets n’étaient pas des véritables antiquités c’est-à-dire qui ont plus de 100 ans, cela ne posait aucun problème pour lui. Là, j’étais rassuré car si c’était le cas, elles auraient alors une tout autre valeur et il me serait dès lors impossible de les acheter. Les choses sont donc claires pour moi. Pour être encore un peu plus rassuré, je me dis que les chinois ont tellement démoli des monastères au Tibet et les œuvres qu’ils contenaient, que ce que j’achète est au moins sauvé. Si un jour, on me dit que je peux remettre ces objets car la paix est revenue au Tibet et qu’un musée va s’ouvrir, il est certain que je m’exécuterai bien volontiers, vu qu’ils auront à ce moment-là, bien plus d’un siècle d’existence. Cette paix n’est effectivement pas pour demain. L’autre question est évidemment de savoir si je serai encore là !  
Hélas cette fois, il n’y a pas d’œuvres intéressantes et je lui dis que je reviendrai dans trois mois, que si entre temps il a quelque chose, il peut les mettre de côté. C’est une bonne chose de faite, il est temps de rentrer à la guesthouse et de me préparer pour aller rejoindre Jean-Louis au Wok.
Aujourd’hui, c’est déjà mon dernier jour à Leh. Le temps passe terriblement vite et j’ai pourtant encore des tas de choses à faire avant mon départ. Je dois aller jusqu’au polo ground pour réserver une place dans le bus de Kargil. Et ce n’est pas la chose la plus simple à faire, car même si le bus est là, ce qui n’est pas gagné, il faut encore trouver le chauffeur ! Lorsque ce sera fait, j’irai acheter des sachets de noodles soupe maggi, des amandes d'abricots, fromage de yack et d’autres petites victuailles qui vont bien me servir lors des journées où je ne traverserai aucun village. Les courses terminées, il me faudra encore passer un dernier coup de téléphone à ma petite épouse car une fois en trek, je n’aurai que très peu d’occasions de lui dire que tout va bien. Ça c’est vraiment le point noir lorsque l’on trekke au Ladakh. A cause de sa situation géographique (zone militarisée) et aussi pour des raisons de sécurité suite aux attentats de Bombay de 1993, 2008 et 2011, plus aucun étranger ne peut posséder de téléphone satellite, ni même acheter une simple carte sim dans la province du Jammu & Kashmir alors que c’est la seule qui est utilisable dans la région. C’est dire que dans ces conditions, il est totalement impossible de téléphoner lorsqu’on se retrouve en pleine montagne. Cette réglementation n’est franchement pas idéale lorsque l’on part seul, et de surcroît, pour une longue durée. Chacun comprendra aisément que c’est surtout pour la personne restée à la maison que l’attente est longue. Alors pour éviter trop d’angoisses, je profite de la moindre occasion pour donner de mes nouvelles. Je lui dois bien ça.                                                                                             
Le coup de téléphone est donné, j’ai mon ticket de bus et les achats sont faits. Avant de rentrer pour déposer tout ça dans ma chambre, je vais aller me prendre un petit curd with sugar dans le quartier arabe. Il est évident que pendant le trek, j’aurai rarement droit à toutes ces petites douceurs, même si pour le yaourt, il est possible d’en avoir chez les nomades. Mais bon, il n’y a pas de mal à se faire du bien, alors autant en profiter maintenant !
De retour dans la chambre, je déballe toutes mes affaires et étale le tout sur le sol afin de refaire mon sac et vérifier une toute dernière fois, si ce que je prends avec moi, me sera vraiment utile. Il n’y a pas de place pour le superflu, puisqu’il est impératif que le sac ne dépasse pas les dix-sept kilos. Et dix-sept kilos, ce n’est vraiment pas grand-chose lorsque l’on sait qu’il faut prendre la tente, quelques vêtements de rechange, des sandales, la gourde, le sac de couchage, le matelas, la nourriture, la pharmacie, la trousse de toilette, l’appareil photo, plus autres petits indispensables, comme le fameux saucisson gaumais. Lorsque tout cela est réuni, on se rend très vite compte que le poids tolérable est déjà atteint. J’avais pris le minimum à Bruxelles, mais je devrai encore laisser des affaires à la guesthouse si je veux espérer aller jusqu’au bout de mon aventure sans me casser le dos.
Le choix fut méticuleux mais je pense que j’y suis arrivé. En tout cas, le sac est maintenant fermé et il le restera jusqu’à mon départ demain matin. Sur ce, je retourne en ville car l’exercice a duré un peu plus longtemps que prévu et il est presque l’heure d’aller au Wok. Puisqu’il me faudra me lever très tôt demain matin, le programme de la soirée est simple : repas copieux, un dernier coup de téléphone vers Bruxelles et ensuite me coucher.
Lorsque j’arrive, je suis le premier et je commande un ginger lemon tea, en attendant Jean-Louis. Seul à la table, il est évident que je gamberge sur mon périple et je me dis que j’ai de la chance d’avoir encore assez de folie en moi pour pouvoir m’engager dans de telles aventures à 65 ans. Bien sûr, il n’y a rien d’exceptionnel d’entreprendre ce genre de chose, des tas de gens en font ou en ont fait de bien plus incroyables. Je dois reconnaître que pour ma part, rien n’était programmé pour que je tombe amoureux de l’Himalaya. Je suis né dans un plat pays et personne dans ma famille, ni même à l’école, ne m’a parlé de cette grande chaîne de montagnes. Tout se déclencha en 1960, j'avais alors un peu plus de huit ans et je venais de recevoir pour ma saint Nicolas, la dernière bande dessinée d'Hergé " Tintin au Tibet ". Ce fut pour moi une véritable découverte, jamais une bande dessinée ne m'avait fait autant voyager. Ces grands décors montagneux blanchis par des neiges éternelles où s'accrochaient des monastères dans lesquels pouvaient vivre des moines complètement isolés du monde, me semblaient totalement incroyables. L'histoire de Tintin me préoccupait que très peu, je ne me demandais même pas où se trouvait le Tibet, mon seul plaisir était de me laisser emporter dans cet univers qui m’était inaccessible que par le livre que je tenais dans les mains. Le premier contact fut ainsi établi, il ne me restait plus qu'à attendre le moment propice pour aller vivre, moi aussi, une aventure dans ces montagnes pour découvrir ces monastères perdus dans la chaîne himalayenne. J'étais encore très loin de mes rêves, si loin qu'à cet âge-là, je ne pouvais même pas imaginer la distance qui séparait le Tibet de mon plat pays. Je savais juste que mon héros avait pris l'avion pour atterrir dans une ville qui s’appelait Katmandou.
................ L'enfance passa et lorsque devenu adulte, j’aurais pu partir, les voyages au long cours m’étaient alors totalement impossibles. A l’époque, il fallait débourser des prix astronomiques pour obtenir un ticket d'avion. Dans les années septante, il y avait bien la solution de faire comme les hippies, partir besace sur le dos vers le Népal ou l’Inde. Mais, même si cette forme d'aventure ne m'aurait pas déplu, je n'ai toutefois jamais eu le courage de refermer la porte de mon deux pièces mansarde et prendre ainsi la route.
Les vies conjugales, divorces, les enfants qui devaient grandir, plaisirs et soucis de la vie, tout cela a donné un sérieux coup d'arrêt à mes rêves himalayens. Mais quelque part, je savais que ce n'était qu'une grande parenthèse et qu'un jour, j'irai jusqu'au bout des rêves de mon enfance.
Connaissant à peine celle qui allait devenir ma future épouse, nous prenions déjà la poudre d’escampette en Syrie et à Istanbul, ville frontière entre l’Europe et l’Asie.
Pascale rêvait d’un voyage au Mexique, nous sommes allés au Guatemala, Pérou, Bolivie, Argentine, Équateur et enfin le Mexique. Après l'Amérique du sud, ce fût un voyage à Bangkok pour aller dire bonjour à un copain qui habitait là-bas. Évidemment, nous avons profité de l’occasion pour pousser une pointe jusqu'au Triangle d'or. C'est là au bord du Mékong, alors que nous regardions la rive laotienne depuis la Thaïlande, que j’ai dit à Pascale que j'aimerai traverser le fleuve ! C’est ce que nous avons fait dès l'année suivante et nous avons parcouru tout le Laos jusqu'à la frontière cambodgienne.
Les portes de l'Asie étaient désormais grandes ouvertes. Dans la foulée du Laos, on a fait, malgré les problèmes politiques de l’époque, la Birmanie. Les rêves himalayens de mon enfance se rapprochaient pas à pas. C'est alors, que par le plus grand des hasards, je découvris sur une brocante le livre de Michel Peissel : «Mustang, Royaume Tibétain Interdit ». J'ai littéralement dévoré les 290 pages de ce livre. Immédiatement après avoir refermé ce premier opus, j’achetai un autre bouquin du même auteur « Zanskar, royaume oublié aux confins du Tibet ». Cette fois, c'en était trop et l'Himalaya devint une véritable obsession.  
Je ne voulais plus perdre de temps. Avec Pascale et Christian, un copain français que nous avions rencontré  au Guatemala alors que nous étions bloqués au bord du lac d'Atitlan par le cyclone Mitch en 1998, nous décidâmes de faire, non pas le Tibet puisque les frontières sont trop souvent fermées par les Chinois depuis l’invasion du pays, mais bien d'aller dans la région que l'on appelle le petit Tibet, le Ladakh.
Je ne fus nullement déçu de ce premier contact, je retrouvais exactement les images de l'album de mon enfance, et 46 ans après Tintin, je découvrais à mon tour ces monastères mythiques accrochés aux flancs des montagnes. Mulbek, Lamayuru, Rizong, Alchi, Likir, Tikse, Stakna, Hemis, je voulais tout voir, rencontrer les moines et les ladakhis, afin de connaître un peu plus leurs traditions ancestrales.
Avec Pascale, nous avons fait l'année suivante le Népal et le trek dit « le balcon des Annapurnas ». Dans la foulée, on fit aussi deux régions tibétaines en Chine, le Yunnan & le Sichuan dans la région du Kham à l'est du Tibet autonome, afin d'aller à la rencontre des tibétains que nous ne pouvions, toujours pas rencontrer dans leur pays d’origine. Merci la Chine !
Les voyages himalayens se sont poursuivis par un nouveau retour en Inde pour découvrir cette fois, les vallées du Kinnaur et du Spiti et terminer à Manali où Christian (l'ami français), est venu nous rejoindre, avant de monter une nouvelle fois au Ladakh. Arrivés à Leh, Pascale rentra à Bruxelles et je continuai avec Christian au Zanskar. Cette fabuleuse vallée que m'avait fait découvrir Michel Peissel.
Au Zanskar, nous sommes allés jusqu'au monastère de Phukthal, là où les moines vivent retirés dans leur monastère accroché au flanc d’une falaise. Le voyage allait être sublime. Mon seul regret, c'était que Pascale ne soit pas là, alors que nous avions fait tous les grands voyages ensemble. J'aurais tellement aimé pouvoir partager avec elle ces décors fabuleux.
Qu'à cela ne tienne, l'année prochaine, je reviendrai ici avec elle et nous ferons alors toute la vallée du Zanskar jusqu'à Zangla en passant par tous les villages qui sont décrits dans le bouquin de Michel Peissel. Nous continuerons même jusqu'à Phuktal et rentrerons à Padum par le s'Tongde La en passant du même coup par le village isolé de Shade.
Lorsque je suis rentré à la maison, mon enthousiasme et mes photos l’ont persuadé de tenter cette aventure. Et dès l’année suivante, nous fîmes cette fois ensemble, le grand tour de cet ancien royaume et poussâmes aussi une petite pointe de deux jours jusqu'au lac Tsomo Riri. Question de voir de quoi il avait l'air. Après le Tsomo Riri, Pascale rentra une nouvelle fois à Bruxelles et j’ai continué le voyage seul, pour faire la vallée de la Noubra et le trek dans la vallée de la Markha.
Le temps passe décidément trop vite. A 60 ans je n'avais pas encore l’intention de raccrocher mes chaussures dans la remise et je me mis en tête d'entreprendre une aventure encore plus folle, celle de traverser le Ladakh en solitaire. Non pas depuis Lamayuru comme le font les agences, mais bien depuis la frontière pakistanaise, dans la vallée du Dha pour continuer à descendre vers le Zanskar pour finir mon trek à Darsha, hameau qui se trouve sur la route Manali / Leh.
Le périple fut une réussite personnelle et cette solitude dans l’effort m’apporta une toute autre dimension au trekking. A maintes occasions, j’ai pu constater que les contacts avec les ladakhis étaient totalement différents lorsqu’on est seul. Comme vous êtes « alone » et qu’ils connaissent mieux que quiconque la difficulté du terrain, il est rare de traverser un hameau sans être invité dans une maison pour y boire un thé au beurre de yack, accompagné d’un peu de tsampa. Ce sont des gestes simples, mais hautement traditionnels, car chacun sait ici, combien le mot solidarité à de l’importance lorsque l’on vit toute l’année dans cette immensité de pierres à plus de 4000 m d’altitude, avec des longs hivers qui frôlent généralement les moins trente degrés Celsius. Vivre dans de telles conditions serait totalement irréalisable sans la moindre solidarité. Ce mot est tout simplement inscrit en lettres d’or dans la mémoire collective des ladakhis et forcément, elle s’applique aussi à l’étranger de passage. Je suis parfaitement conscient que sans cet état d’esprit, il me serait impossible d’entreprendre une telle aventure. Mais loin de moi l’idée de profiter, il est donc évident que ce système est aussi valable pour moi. Solitaire et solidaire sont des mots pas si éloignés l’un de l’autre. D’ailleurs depuis que les touristes arrivent dans ces villages retirés, une autre tradition s’est mise en place au fil des années, celle de laisser un billet en-dessous du coussin où on était assis.  
Expérience inoubliable, qu’une fois à la maison, je n’ai eu de cesse d’imaginer un circuit encore plus grand. Evidemment dans cette région bénie des dieux, les choix ne manquent pas. Puisque j’avais déjà fait du nord au sud, concevoir un circuit qui allait d’ouest en est, s’est imposé tout naturellement à moi. Ce nouveau défi d’envergure, était de loin le plus long de tous les treks que j’ai fait jusqu’à présent. Il m’aurait conduit de Shergol en passant par les hauts plateaux tibétains avant de rejoindre le Lac Tsomo Riri. Hélas après avoir traversé successivement les régions du Purig, Sham, Stod et le Rupshu et le Kharnak, une fois arrivé sur la route, au lieu de continuer, comme prévu, vers le lac, je suis rentré en bus à Leh, car j’étais totalement épuisé. Après un peu de repos, c’est en bus que j’ai rejoint le Tsomo Riri et ainsi reprendre mon aventure (presque comme si de rien n’était !).                              
Voilà en grandes lignes comment cette passion pour l’Himalaya est née en moi et pourquoi je me retrouve  une nouvelle fois à Leh pour une nouvelle aventure. Aventure qui je l’espère, m’emmènera cette fois jusqu’au bout de mon projet, le Tsomo Riri. Une fois là-bas, je n’en aurai pas fini, puisque je n’aurai pas de permis pour pouvoir être dans cette région, il me sera obligatoire de passer par la vallée du Phirse Chu, soit une boucle de plus ou moins une semaine de plus, afin d’éviter les contrôles de l’armée. Vous me direz qu’il m’aurait été plus facile de prendre un permis à Leh afin d’éviter ce problème ! Oui tout à fait d’accord, mais il faut savoir que ces permis ne sont valables que pour une période de sept jours. Il aurait donc fallu que je prévoie plus de quatre-vingt jours avant, les bonnes dates de mon passage dans cette région. Vous en conviendrez que c’est totalement impossible. J’ai donc choisi de le faire sans permis et au cas où je me ferais pincer, je pourrai toujours expliquer que je viens à pied du Spiti et que là-bas il n’y a pas de possibilité d’avoir ces permis. Ce qui est exact, mais je ne sais pas si ce mensonge passera. Après, il me restera une dernière solution, celle du matabiche, même si avec les militaires cette transaction risque d'être délicate !  

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