..................... L'aéroport international Indira Gandhi. Il est presque
minuit, j’ai réceptionné mon bagage de soute et j’attends maintenant dans le
terminal Arrival International,
devant les comptoirs de l’Immigration pour faire taponner mon visa me donnant
le droit de rester trois mois en Inde. Tout va très vite et en à peine une
heure, je suis dans
le hall des Domestic Departur où je dois faire réenregistrer mon bagage avant
de repasser les portiques des contrôles de sécurité.
Trois heures du mat, je suis étalé dans un fauteuil qui se
trouve près de la porte d’embarcation numéro 45 où j’attends patiemment l’heure
d'embarquer pour Leh.
Six heures du mat, je prends enfin place dans l’avion.
Quinze minutes plus tard, le commandant de bord attend les autorisations de
décollage, les moteurs grondent, la carlingue vibre de toutes parts, le décor
défile à grande vitesse et les roues lâchent
la piste de béton.
C’est parti !
L’avion n’est pas encore bien haut, mais il est impossible
de voir quelque chose de la ville qui est juste en-dessous de nous, tellement le nuage de pollution qui s’en
dégage est important.
L’avion opère
brusquement un grand virage, l’aile droite est en plein ciel et la gauche
pointe le sol.
Lorsqu’il se redresse, c’est pour prendre de l’altitude afin de pouvoir
franchir les premiers contreforts de l’Himalaya. C’est le bon moment pour
regarder les premiers rayons du soleil qui pointent à l’horizon. Je n’assiste
peut-être pas au plus beau lever de soleil, mais cela fait quand même plaisir
de voir l’astre solaire parvenant encore à percer l’énorme chape de pollution que
j’ai vue au décollage.
A peine les contreforts sont-ils franchis, que l’horizon s’élargit
un peu plus sous un ciel éperdument bleu. Tour après tour, lentement, le pilote
élève encore un peu plus sa machine. Au plus l’engin prend de l’altitude, au
plus les kilomètres carrés de la chaîne himalayenne s’étirent pour ne faire
qu’un océan de sommets. Çà et là, je vois un
mélange de blancs accrochés aux cimes des montagnes. A
bien y regarder, c’est un mélange de nuages et de neiges éternelles. Malgré la vitesse de
l’avion, les
montagnes sont si grandes que j’ai la très nette impression que l’avion
n’avance qu’au ralenti. Le spectacle est vraiment grandiose, c’est ça l’Himalaya.
Après le blanc des nuages et des neiges éternelles, c’est maintenant le
blanc des glaciers qui exerce son pouvoir d’attraction. Depuis mon hublot, je
pense même reconnaître le Darung Drung glacier qui se trouve sur la route du
Zanskar entre Kargil et Padum. Vu d’en haut, il ne fait qu’une masse de glaces
prodigieuses qui ressemble à une énorme langue dévalant dans la vallée.
Le nez collé au hublot, je ne quitte plus le spectacle des
yeux, j’ai bien trop peur de rater le moindre détail de cet univers formé de
roches et de glaces. Dehors, il doit faire tellement froid que du givre
recouvre à présent une bonne partie extérieure de mon hublot, tandis que sur la
partie intérieure, c’est la buée de mon haleine qui s’y est déposée.
Presque une heure de vol et l’avion commence sa longue
descente. Les contreforts nord sont presque en vue, il ne lui reste plus qu’à
éviter le Stok Kangri (6121 m) dernière barrière de sommets avant le sillon de
l’Indus. Neiges et
étendues de glace s’amenuisent et font place aux cailloux et aux moraines.
L’unité de couleur s’est faite, c’est le granit gris qui domine à présent le
décor jusque dans l’Indus River.
Leh est maintenant tout proche.
Il s’agit pour le commandant de bord de faire un virage très serré tout en
perdant quelques centaines de pieds en une poignée de secondes, afin de se
présenter correctement sur la modeste piste en béton de l’aéroport militaire
qui jouxte immédiatement le monastère perché de Spituk. L’aile droite de
l’avion frôle une dernière colline, la piste d’atterrissage est là, droit
devant. Dès le contact entre les roues et la piste, le pilote fait hurler les
moteurs afin que l’avion s’arrête au plus pressé car la piste ne fait même pas
un kilomètre de long.
L’oiseau de fer s’immobilise une première fois avant de
rouler à nouveau vers le petit terminal de l’aéroport Kushok Bakula Rinpoche.
L’avion est parqué, les moteurs s’arrêtent et je sors de la carlingue. A peine sur
le bitume, je suis ébloui par la lumière intense qui règne dans ce désert de
pierres. J’ai quitté Bruxelles depuis plus de vingt heures, je peux enfin dire
julley Leh, me revoilou.
Leh,
chef-lieu du Ladakh, est une ville située à l'extrême nord de l'Inde, blottie entre le
Pakistan et le Tibet.
De tout temps, Leh a été jusque dans les années 1950, un important carrefour pour les caravanes
de marchands qui arrivaient des régions les plus
lointaines. Voilà bien pourquoi on trouve ces trois lettres, LEH, sur toutes
les cartes d’Asie, même les plus anciennes.
Aujourd’hui Leh n’est évidemment plus la plaque tournante du
commerce, mais elle est devenue en quelques années, tout comme Katmandou
d’ailleurs, la Mecque des trekkeurs du monde entier.
Le centre-ville n’est pas bien loin, il n’y a guère plus de
cinq kilomètres depuis l’aéroport. Lorsque je suis bien habitué à l’altitude,
je fais le trajet à pied. Ce ne sera pas le cas aujourd’hui !
Dans cette ville haute perchée (3500 m), je dois maintenant
trouver une Guesthouse. J’avais l’habitude d’aller au Ti-Sei, mais j’ai envie
pour de changer d’air et aller voir la Guesthouse se trouvant un peu plus haut
dans la même ruelle. L’année passée, la propriétaire m’a si souvent dit
gentiment julley alors qu’elle se trouvait devant sa porte, que j’ai bien envie
d’aller y jeter un coup d’œil. Le confort ne doit sûrement pas être très
différent qu’au Ti-Sei, puisque, comme à côté, c’est tenu par une famille
ladakhie. Si mes
souvenirs sont bons, la guesthouse porte le nom du quartier « Malpak » !
Je suis devant la porte, c’est bien la guesthouse Malpak. La
porte est fermée, je tambourine dessus pour me faire annoncer. Au bout de
quelques minutes la brave dame vient ouvrir. Les julley et le sourire sont très
accueillants et elle me propose directement de rentrer dans la petite
propriété.
Du petit jardin,
je découvre directement la maison. La demeure est simple, dans le plus pur style ladakhi, avec une
grande fenêtre de coin, aux châssis en bois aux couleurs brunes. Petit détail amusant,
les ladakhis ne sont pas passés maître en finition car il y a toujours autant
de couleurs sur la boiserie que sur les carreaux ! Passé la porte
d’entrée, je me retrouve dans un couloir qui donne accès à différentes pièces réservées à la famille.
Les chambres pour les voyageurs sont à l’étage.
Elles sont désuètes,
mais tranquilles et propres, c’est ce que je recherche. Je décide donc d’y
déposer mes bagages. De toute manière, je n’y passerai que trois nuits, juste
le temps pour moi de m’acclimater à l’altitude et de retrouver avec un certain
plaisir quelques personnes au centre-ville qui me sont familières. Après, je
n’aurai qu’une hâte, celle de commencer au plus vite cette aventure qui est
depuis longtemps préparée.
Seul dans la chambre, je vais pouvoir à présent déballer mes
affaires et me reposer un peu. Mon sac est à peine ouvert que la brave dame est
déjà de retour avec un thermos de thé, en guise de bienvenue. Geste que
j’apprécie tout particulièrement après ce long voyage et je la remercie
d’ailleurs avec un grand julley.
Je déguste mon thé, tout en étalant mes affaires dans la
chambre. Peu à peu, la petite chambre désuète se personnalise, à tel point que je me
sens à présent un peu comme chez moi.
Dans ce cadre agréable, je décide de m’allonger une petite
heure avant d’aller faire un tour dans Leh. Hélas, j’ai beau être bien
installé, il m’est impossible de trouver le sommeil. Les yeux fixés au plafond,
je pense inévitablement à cette aventure qui m’attend dans les prochains jours
et qui va me plonger une nouvelle fois dans ces montagnes himalayennes. Cette
nouvelle aventure sera particulièrement longue, j’y serai coupé du reste du
monde pendant dix semaines,
en train de marcher sur des chemins qui m’élèveront chaque jour un peu plus
vers le ciel. J’aurai alors devant moi, le même décor que j’ai pu contempler
tout à l’heure depuis mon hublot.
A cet instant précis, sans trop savoir pourquoi d’ailleurs,
je pense à mes ennuis de tendinite qui m’ont fait arrêter mon trek sur les
chemins de Compostelle l’année dernière. J’ose espérer qu’elle ne reviendra pas
rejouer les trouble-fêtes ! J’ai beau avoir mis toutes les chances de mon côté
pour éviter que ce problème ne devienne chronique, mon kiné m’a prévenu
que c’était sans garantie. Est-ce pour cela que je ne dois plus rien
entreprendre ? Non, bien évidemment, il serait trop bête d’avoir des
regrets plus tard. L’avenir sera donc encore et toujours l’Aventure avec un
grand A !
Bon, assez gambergé comme ça sur mes hypothétiques
problèmes, je ne dormirai quand même pas.
Je m’en vais chez Tashi pour boire un thé et manger une « vegetable omelet »
dont elle a le secret.
Afin de me dégourdir les jambes et respirer l’ambiance de la
ville, je fais le grand tour par l’Old Fort Road pour me retrouver aux
alentours du Moti Market et pouvoir ainsi remonter à mon aise toute la Main
Bazaar road, qui est la principale artère de Leh.
Mais quelle ne fut pas ma déception quand je vis la longue et large avenue éventrée par des gros travaux de rénovation de voirie et d'égouttage. Fini la double rangée de peupliers qui se balançaient allègrement au gré de la brise.
Mais malgré les trous et la poussière, les échoppes sises de chaque côté de la "chaussée" et presque toutes tenues par des kashmiris de Srinagar sont ouvertes. Sur les semblants de trottoirs, des femmes ladakhis vendent leurs légumes qu'elles ont récoltés dans leur jardin, et perpétuent cet ancien commerce traditionnel. Elles sont là toute la journée assises en tailleur. Le matin, lorsque le soleil se lève, elles sont sur le trottoir de gauche et dans l’après-midi, elles traversent la rue, pour se réinstaller sur le trottoir d’en face afin de garder les légumes dans la fraîcheur de l'ombre. Je rappelle que Leh est quand même à 3500 m d’altitude et le soleil est particulièrement chaud en été.
Mais quelle ne fut pas ma déception quand je vis la longue et large avenue éventrée par des gros travaux de rénovation de voirie et d'égouttage. Fini la double rangée de peupliers qui se balançaient allègrement au gré de la brise.
Mais malgré les trous et la poussière, les échoppes sises de chaque côté de la "chaussée" et presque toutes tenues par des kashmiris de Srinagar sont ouvertes. Sur les semblants de trottoirs, des femmes ladakhis vendent leurs légumes qu'elles ont récoltés dans leur jardin, et perpétuent cet ancien commerce traditionnel. Elles sont là toute la journée assises en tailleur. Le matin, lorsque le soleil se lève, elles sont sur le trottoir de gauche et dans l’après-midi, elles traversent la rue, pour se réinstaller sur le trottoir d’en face afin de garder les légumes dans la fraîcheur de l'ombre. Je rappelle que Leh est quand même à 3500 m d’altitude et le soleil est particulièrement chaud en été.
Sur le côté gauche de la rue, se trouve la mosquée chiite
(Imanbara), tandis que celle des sunnites (Jama Masjid) se trouve tout au fond
du bazar, bien blottie sous le palais royal. Il est d’ailleurs impossible de ne
pas la remarquer, car au-dessus de la coupole, juste à côté du minaret, flotte
allégrement, un peu comme un étendard de pirate,
un énorme drapeau noir. A noter, qu’une autre vieille mosquée chiite (Tsas Soma
Masjid) a été restaurée et elle se trouve dans la ruelle des boulangers.
Bien que le Ladakh, le Zanskar et le Spiti soient des
régions majoritairement bouddhiques, les musulmans ont obtenu lors de l’indépendance de l’Inde en 1947 de Mahatma
Gandhi, l’autorisation de faire les appels à la prière dans tout l’état du
Jammu et Cachemire. Comme politiquement, le Ladakh fait bien partie du
Cachemire indien oriental, voilà pourquoi nous entendons, encore aujourd’hui,
cinq fois par jour ces appels made in muslim. Il faut quand même souligner que
c’est une spécificité unique au monde : dans aucun autre pays non
musulman, cet appel n’est autorisé. L’avantage de cette agression sonore, c’est
que je sais qu’au troisième appel du
Muezzin, il est l’heure pour moi d’aller manger. C’est déjà ça !!
Le bouddhisme compte plus de 6 millions de pratiquants en
Inde, ce qui peut paraître peu sur le 1,23 milliard d'habitants que compte le
pays, mais presque tous les bouddhistes sont situés dans l’état du Jammu et
Cachemire. C’est logique puisqu’ici, au Ladakh et au Zanskar, nous sommes plus
près du Tibet que de New Delhi, ou même de Srinagar.
Côté temple,
les bouddhistes ne sont évidemment pas en reste et ont eux aussi leurs temples
et Gonpa, non seulement ici à Leh mais aussi dans les trois régions que j’ai
cité plus haut.
Je
commencerai par parler de celui qui est dans Main Bazaar, le Jokhang Gonpa. Il
a été construit en 1956 pour célébrer le 2500éme anniversaire de la naissance
de Bouddha. Il abrite une image du Bouddha Sakyamuni, le Bouddha historique,
ramenée du Tibet en 1959, année où le Dalaï Lama a dû fuir le pays. Ce
temple-là est facilement visitable, car contrairement aux autres de la ville,
il est toujours ouvert et bon nombre de tibétains y viennent constamment pour
prier. Les autres temples bouddhiques se trouvent dans la vieille ville, pas très loin du royal
palace. Il y a le Red Maitreya temple, le Soma Gonpa et le Chenrezi Lhakhang.
Celui qui se trouve en haut du Palace, c’est le Namgyal Tsemo Gonpa. Comme je
vous le disais plus haut, il est inutile de vous y précipiter car j’y suis
passé de nombreuses fois et je n’ai jamais eu la chance de pouvoir les visiter.
Derrière les échoppes du bazar moderne, se cache un autre
monde. Ce sont des ruelles étroites qui serpentent parmi les bâtiments de
briques, s’enfonçant parfois sous les maisons ou cheminant le long de hauts
murs. C’est dans ce labyrinthe qu’on trouvait autre fois « la rue du
tchang », le tchang étant une bière à base d'orge fermentée. C’est là
qu’aimaient se retrouver tous les caravaniers pour faire la fête après des
semaines, voire des
mois de voyage sur des chemins où le danger était permanent. Comme le disait le
grand Jacques : « il faut bien que le corps exulte » !!
Aujourd’hui il n’y a plus rien qui témoigne de cette période, puisque depuis quelques
années, le tchang est interdit à la vente.
Déjà une heure que je marche et l’altitude m’empêche de trouver
mon souffle. Je décide de ne pas poursuivre ma balade et de me diriger directement
chez Tashi pour boire un thé et manger un bout. Cela me fera le plus grand
bien.
La porte du petit resto est à peine entrouverte, j’entends
des grands julley julley sortir de la cuisine et aussitôt Tashi vient
m’accueillir avec un large sourire tout en me tendant ses mains qu’elle vient
d’essuyer à son tablier. How are you ?
I'm fine and you !? Very good, thank you. Sit you en me montrant une table
libre et en retournant à la cuisine pour faire un thé. En attendant que l’eau
chauffe, Tashi revient en me demandant :
You're alone, madam is not here ?
Not this time !
Next time ? Yes next time ! Ces retrouvailles sont un véritable plaisir.
Le thé est excellent, mais après ce long voyage et les
petits plats « dégueu » de la compagnie qui m’a transporté jusqu’en
Inde, mon estomac crie famine et je commande, non pas, une « vegetable
omelet » mais des « Browned potatoes with garlic and vegetables ». Cela
ne va déranger personne, puisque cette nuit, je suis seul. "alone".
Il n’y a rien de mieux que de satisfaire l’estomac avec un repas simple,
quand il est tellement bien cuisiné. L’assiette vide, je redemande un deuxième
thé pour faire descendre, ce que j’appellerais en tout bien tout honneur,
« le casse-dalle sauveteur ». C’est le moins que je puisse dire car
il était plus que temps que je me sustente de la meilleure façon qu’il soit. Je
peux donc dire que c’est fait.
D’où je suis placé, j’ai une vue sur Main Bazaar road. Comme
toujours, il y a beaucoup de monde qui déambule parmi les échoppes et à certains
moments, cela ressemble à la rue neuve de Bruxelles. Mais bon, la comparaison
peut s’arrêter là puisqu’ici, il n’y a ni chocolatiers ni praliniers tous les
dix mètres ! Au travers de la foule qui arpente le lieu, il me semble
reconnaître la couleur bien spécifique d’un blouson reconnaissable entre mille.
A bien y regarder, je me rends compte que je ne me suis nullement trompé et que
c’est bien mon ami Jean-Louis qui arrive. Inutile de sortir pour l’appeler et l’inviter
à venir boire un verre, puisque de toute
évidence, il se dirige par ici.
La dernière fois que nous nous sommes vus, cela nous fait
remonter la vie de deux ans, alors que nous trekkions entre le village de
Zangla & celui de Shade. Un sacré souvenir, aussi bien du côté aventure
avec un grand A, que sur le plan humain. Si aujourd’hui, on se retrouve, ce
n’est évidemment pas une grande surprise, puisque nous restons constamment en
contact et c’est d’ailleurs avec lui et son expérience du Ladakh que nous avons
mis sur pied le circuit que je m’apprête à entreprendre dans les prochains
jours. Nos sujets de conversations sont
principalement les régions bouddhiques d’Inde. Nous avons toujours plaisir à
nous échanger les informations et les bons plans pour aller voir tel ou tel
site incontournable, pas forcément connu de tous. Pour être tout à fait
sincère, je suis sur ce coup-là, plus souvent l’élève que le professeur, puisque
bien évidemment, avec ses trente ans d’expérience dans la région, je ne fais forcément
pas le poids !!
Il y a aussi un autre « spécialiste » du genre, un
dénommé Gilles, qui est tout aussi un fin connaisseur, voire plus, vu qu’il sait
parler le tibétain, ce qui est sans nul doute un énorme avantage pour collecter
des éclaircissements dans les Gonpas et villages. Je vous laisse d’ailleurs
imaginer la combinaison de tuyaux que ces deux-là peuvent vous donner lorsqu’ils
sont réunis à la même table. Aujourd’hui nous ne sommes que deux, mais Jean-Louis
me dit que Gilles est en ville et qu’il va sûrement passer par ici. En
attendant, on se partage les derniers détails que nous avons mis au point pour
nos périples respectifs. C’est comme cela que j’apprends que nous allons nous
revoir au festival du monastère de Lamayuru, qui a lieu cette année du 24 au 26
juin. Après, ce sera plus difficile, car nos chemins ne se croiseront plus et
de mon côté, je ne rentre plus à Leh avant le 28 août, pour n’y rester que
quelques jours avant de rentrer à la maison. Jean-Louis m’approuve en me disant
que chaque jour passé à Leh est un jour de moins passé au Ladakh. Pas étonnant
qu’il me dise cela car la ville n’a sûrement plus rien à voir avec la ville
qu’il a connue il y a plus de trente ans.
Gilles rentre à son tour chez Tashi. Hélas, le temps passe
trop vite et j’ai juste le temps de le saluer et prendre de ses nouvelles, car
il me faut absolument passer à l’agence Eco Travels afin d’y déposer mon
passeport pour obtenir les permis pour le Tsomo Riri et la région de Mahe.
Zones sensibles politiquement car trop près du Tibet. Comme il faut au moins 24
heures pour récupérer le tout, ma demande doit être absolument faite encore
cette après-midi, d’autant plus que nous sommes en fin de semaine et que dimanche
les bureaux sont fermés. Avant de partir, je donne rendez-vous à Jean-Louis au
Wok à 18h30. C’est notre petit resto habituel pour le repas du soir. Quant à
Gilles, inutile de prendre rendez-vous, on se retrouvera bien avant mon départ.
Lorsque j’arrive à l’agence de voyage, c’est Rigzin qui va
s’occuper de mes permis. L’affaire est délicate, étant donné qu’il ne faut pas
se tromper dans les dates de passage aux différents contrôles. Comme ils
n’auront lieux qu’après deux mois de trek, il est dès lors difficile de prévoir
les dates exactes des différents passages. Hélas, ce problème n’intéresse pas
les agents au commissariat touristique, pour eux il faut une date d’entrée pour
chaque demande. Avec la plus grande hésitation, Je me fie quand même au
calendrier de préparation du périple pour fixer, une fois pour toute, les dates
d’entrées dans les diverses zones. Pour le Tsomo Riri ce sera le 11 août, et
pour Mahe le 18 août. Après, il y a toujours moyen de s’arranger, mais comme ce
ne sont pas des façons légales pour y arriver, je ne m’étendrai donc pas sur le
sujet !
Voilà une bonne chose de faite, tout cela semble un peu
compliqué, mais que voulez-vous, ce sont les aléas des voyageurs indépendants. Bourlinguer
de cette manière, apporte beaucoup de satisfactions, mais en contrepartie, il
faut aussi savoir gérer toutes les situations.
Je peux retourner maintenant dans
ma chambre, et espérer pouvoir faire une sieste réparatrice jusqu’à l’heure de
mon rendez-vous de ce soir.
………………. Cette fois j’ai dormi comme un loir. Tellement bien,
que si je veux arriver à temps au wok il me faut partir au plus vite. Heureusement
que la guesthouse ne se trouve pas dans Changspa, je devrais marcher pendant vingt-cinq
minutes avant d’arriver au resto tibétain, alors que depuis Malpak, je n’ai que
la Fort Road à monter. C’est déjà ça de gagné sur mon retard.
Lorsque j’arrive devant la maison, il me faut encore monter
quatre longues volées d’escaliers avant de franchir la porte de la salle du
restaurant. Jean-Louis est déjà attablé et jette un œil sur la carte. Ici pas
de menus « occidentalisés », rien que des spécialités tibétaines,
comme les traditionnels Tukpas, Tentuks, Riuchotse mutton, vegetable momos,
mutton momos ….etc. Je ne voudrais pas terminer ce condensé de plats, sans
oublier de citer celui qui nous fait
tellement plaisir lorsque l’on rentre de trek, c’est le fameux fried eggs with
chips. Mais pour ce soir, je vais prendre une vraie spécialité de la maison, un
Tibetan vegetable chow mein, comme dessert un curd with sugar avec un ginger
lemon tea. Ce sera parfait pour moi. Quant à Jean-Louis, dessert et boisson
c’est comme moi, tandis que pour le choix du plat, il fait comme s’il était
revenu de trek !!
Ce matin, le soleil illumine depuis longtemps ma chambre quand
je me décide enfin à me lever. Il y a des jours où il faut bien se faire
plaisir et profiter de l’aubaine pour récupérer un peu de ces heures d’avion où
il m’est impossible de pousser un somme. C’est dire que les voyages sont longs
pour moi !
La grasse matinée terminée, je vais pouvoir prendre le petit
déjeuner chez Tashi. Après, je filerai directement au village pour enfants
tibétains de Choglamsar, afin d’y déposer le colis de médicaments que j’ai pour
l’infirmerie. Ce centre a vu le jour dès les premières années qui ont suivi
l’occupation chinoise du Tibet, entraînant ainsi le début du génocide du peuple
tibétain. Cela poussa, bien évidemment, à l’exode des milliers de réfugiés,
vers l’Inde, le Bhoutan et le Népal.
Le dernier recensement effectué par l’Administration
centrale tibétaine (ACT) en 2009, estime la population de l’exil à 127 935
personnes, dont 94 203 Tibétains vivant en Inde, 13 514 au Népal et 1 298 au
Bhoutan. En dehors de ces trois pays, le nombre de Tibétains recensés est de 18
920 établis principalement en Amérique du Nord (11 112 personnes) et en Europe
(5 633 personnes) dont 3000 en Belgique et 2000 en France. Des chiffres
effrayants, mais hélas sous-évalués, puisque le rapport de l’ACT estime que
près d’un quart des Tibétains vivant en dehors de l’Inde, du Népal et du
Bhoutan n’a « pas pu ou pas souhaité » prendre part au recensement.
Ces chiffres à eux seuls donnent assurément l'ampleur du
désastre, surtout lorsque l’on sait que la population tibétaine en Région
Autonome du Tibet (RAT) ne compte plus que 2,7 millions de personnes, alors
qu’ils étaient 6,4 millions en 1950. A cette allure-là, dans 10 ans, le
génocide sera totalement achevé et on ne parlera même plus des tibétains.
Il subsiste un autre problème. Depuis des siècles l’étendue
géographique du plateau tibétain dépassait largement cette seule « région
autonome », puisqu’il débordait sur les provinces voisines du Qinghai, du
Gansu, du Sichuan et du Yunnan. Le haut-plateau tibétain remontait également
vers le sud, jusque dans les régions du Ladakh, Spiti, Zanskar, Sikkim,
Arunachal Pradesh (en Inde) au Baltistan (au Pakistan), ainsi qu’au Bhoutan et
tout le nord du Népal, comprenant, entre autres, le Mustang et le Dolpo. Les
chiffres sont là, le Tibet historique comptait plus de 2,5 millions de
kilomètres carrés, alors qu’aujourd’hui, il a été amputé de près de la moitié
de sa superficie par les autorités chinoises, pour ne faire plus que 1 221 600
km².
Si le dalaï-lama s’y réfère à
chaque fois qu'il parle du Grand Tibet, il a raison. Les Chinois, quant à eux,
renvoient invariablement à la Région autonome du Tibet (RAT) lorsqu'ils parlent
du Tibet; ils ont effectivement intérêt à faire oublier les différentes
amputations qu'a subies le Grand Tibet depuis 1950.
Un jour où nous débattions, Jean-Louis, Gilles et moi, sur
un hypothétique avenir d’un Tibet libre. Je demandais à Gilles, si le Dalaï
Lama n’avait pas l’intention de faire du nord du l’Inde, une sorte de
« nouveau Tibet » ? Il me répondit que le peuple tibétain
n’avait pas toujours été, un peuple « tourneur de moulin à prières »,
qu’ils avaient fait la guerre durant des siècles avec la plupart de ses voisins
pour pouvoir construire ce grand empire, et qu’il était clair que l’Inde
n’allait jamais accepter sous une forme ou une autre, un nouveau Tibet chez
eux. Toutes ces guerres successives ont laissé d’énormes traces en Asie, que ce
soit en région Centrale, au Nord-Est ou au Sud et aucun pays ne voudrait donner
une quelconque partie de son territoire pour créer un autre Tibet. Et il termina
sur cette terrible phrase : tu sais, il n’y a qu’en Occident que la cause
tibétaine génère autant de passions.
Etant donné que je suis un occidental, j’ai donc pris l’habitude
de déposer ma petite pierre à l’édifice, afin d’aider un tant soit peu, ce
peuple tibétain qui n’a aujourd’hui plus de pays.
Choglamsar n’est qu’à une petite dizaine de kilomètres de Leh.
Pour y aller, je descends dans le bas de la ville afin de rejoindre la route qui
part vers l’est. Arrivé au carrefour, j’attendrai qu’un bus ou un taxi
collectif passe pour lui faire signe de s’arrêter. Cela devrait aller assez
vite. Choglamsar étant le premier village qui est sur cette route, tous les véhicules
prenant cette direction sont donc obligés d’y passer. Effectivement, cela ne
tarde pas et en moins de cinq minutes, un taxi collectif s’arrête. Par contre,
sur la route, les choses ne sont pas aussi simples. Au Ladakh comme sur toutes
les routes en Inde, il est très difficile de circuler. En principe, les
véhicules roulent à gauche, mais en réalité, ça roule partout et le clackson
fait sûrement office de priorité. C’est dire la pagaille qui règne sur le
bitume indien ! Encore heureux qu’au fil des années, on n’y prête plus
trop attention et on fait comme si tout ça était normal. Après vingt-cinq
minutes de ce folklore chronique, je peux déjà faire arrêter le taxi. Lorsque
j’arrive au portail du village, le garde me demande où je dois aller ? Je
lui réponds « I have medication for you » ! Très gentiment, il
m’explique alors que je dois remettre mon colis au secrétariat. Dans le petit
bureau, je suis accueilli avec des juley et je dis que j’ai des médicaments
pour le centre. Thank you very much,
I'll put myself to the doctor et le brave dame m’invite à m’assoir pour boire
un thé pour me remercier. Ma mission est accomplie, j’éprouve, comme à chaque
fois, un réel plaisir de l’avoir fait.
Avant de rentrer à Leh, j’ai envie de me balader dans les
ruelles du bled. Ce n’est pas que Choglamsar soit un village très attrayant,
mais l’ambiance y est particulière, puisque vivent ici plus de tibétains que de
ladakhis.
C’est d’ailleurs à Choglamsar que le Dalaï Lama fait ses enseignements
lorsqu’il vient à Leh et ceux-ci se déroulent généralement devant 60 000
personnes rassemblées dans une énorme plaine où trônent les huit types de stupas
renvoyant chacun à un événement majeur dans la vie de Bouddha. Cette année encore, le Dalaï Lama donnera l'enseignement
du Kalachakra. Ce tantra est considéré dans le monde bouddhique comme l’un des
plus importants, car il permet l’accès direct de chacun à la condition
éveillée. Tout bouddhiste qui se respecte, doit au moins une fois dans sa vie,
assister à cette initiation. C’est dire que pour l’occasion, les moines du monastère de Gonpa Karma Dupgyud Choling,
monastère qui se trouve juste en face du lieu de rassemblement, attendent un
nombre record de fidèles.
Je déambule à l’aise dans les petites rues. J’ai ainsi
l’occasion de découvrir le travail des artisans, notamment un graveur sur
pierre de mantra et de Bouddha, un peintre et un sculpteur. C’est avec
curiosité que je découvre le travail de ces artisans et leurs ateliers.
Visiblement, eux aussi sont heureux qu’un touriste puisse s’intéresser à leur
art.
C’est un fait, leur travail m’intéresse. Sur quelques mètres
carrés et avec des outils d’un autre âge, ces artisans parviennent à réaliser
des œuvres que l’on croirait sorties tout droit des plus grands ateliers.
Mais
mon approche n’est pas qu’artistique, je porte aussi une attention toute
particulière à ces rencontres, ces gens ont tellement de choses à nous
apprendre que le temps que l’on passe avec eux, ne peut qu’être bénéfique.
Je
me souviens tout particulièrement d’une rencontre avec deux peintres tibétains
qui restauraient des fresques dans un monastère au Zanskar. Comme le contact
passait bien entre nous, l’un d’eux a pris le temps de me raconter, sans aucune
rancœur et à cœur ouvert, pourquoi, comment et à quel prix, il avait fui son
pays. Il me racontât que vivre à Lhassa était devenu impossible à cause de la
constante oppression chinoise, et que la décision de partir, il l’avait prise
avec trois autres copains. Ils avaient entendu dire que la période hivernale était
le meilleur moment pour espérer pouvoir passer la frontière par les hauts sommets
himalayens, car les militaires chinois n’ont forcément pas toujours envie de
rester en faction pendant les grands froids. C’est ainsi qu’en plein hiver,
avec un simple sac sur le dos contenant quelques affaires personnelles, un peu
de provisions et quelques yuans en poche, ils partirent dans le plus grand
secret vers la liberté. Leur voyage a duré quatre semaines et lorsqu'ils
arrivèrent enfin en Inde, après avoir franchi une série de cols tous à plus de
cinq mille mètres d’altitude, un seul des quatre candidats à l’exil en est
ressorti indemne, deux ont dû être amputé des deux jambes et de tous les doigts
à cause du froid, et celui qui m'expliquait leur fuite, a dû lui aussi être
amputé d'une jambe et ses deux petits doigts sont eux restés recroquevillés
pour toujours. Voilà le prix qu’ils ont dû payer pour espérer une vie meilleure.
Mais combien d’autres n'ont-ils pas laissé leur vie dans ces montagnes ? Après avoir
forcé la chance pour pouvoir vivre une vie plus décente, tout être humain ne
peut que respirer le bonheur et forcément, vous le faire partager, afin que
vous puissiez à votre tour, vous contenter de l’essentiel « la
liberté ».
Je termine ma promenade en m’arrêtant dans un boui-boui pour
manger une tukpa avant d’aller visiter le Gonpa Karma Dupgyud Choling. Ce monastère
appartient à la secte des bonnets noirs de Lhassa. C’est d’ailleurs là qu’en
2012, nous avions, Pascale et moi, assisté à un des plus beaux festivals qu’il
nous a été possible de voir au Ladakh. Le Gonpa en lui-même n’a rien d’exceptionnel,
il est beaucoup trop neuf pour que le visiteur y trouve une certaine
atmosphère, mais par contre, l’ambiance du festival était particulière. Très
peu d’instruments de musique, juste des dhyangros, quelques cymbales et
occasionnellement des dungchens, ont suffi pour accompagner les danses des
moines jusqu’à la destruction du symbole des mauvaises actions de l’année. Après
cette journée haute en couleurs, nous étions projetés vers un univers encore
plus lointain que dans celui dans lequel nous étions.
L’école Karma kargyud « l’école de la transmission orale » fondée
au XIème siècle est très peu présente au Ladakh.
A ma connaissance, il n’y
aurait que deux monastères de cette tradition religieuse. L’autre Gonpa est
bien plus ancien que celui-ci et se trouve à Mahe, village tout à l’est du
Ladakh, à vingt-cinq kilomètres de la frontière tibétaine. Gonpa que j’aurai
d’ailleurs l’occasion de visiter pour la première fois tout en fin de périple. J’imagine
aisément ma joie intérieure lorsque j’arriverai dans ce monastère et assisterai
à la puja, après plus de septante jours de trek, avec pour seule rencontre
possible les villageois et nomades qui habitent et parcourent ces montagnes afin
de trouver le moindre espace de verdure pour faire brouter leurs yacks et chèvres
pashmina.
Mais je n’en suis pas encore si loin. Mes pensées vont
actuellement plus vite que le temps. Je vais donc rentrer à Leh et passer à
l’agence pour y rechercher mon passeport et mes permis. Ensuite j’irai faire un
juley à mon antiquaire de la Upper Tucha Road et profiter de la visite pour
voir s’il n’a pas quelque chose de bien dans sa boutique à me vendre.
Quand j’arrive au Dreamland, mes permis ne sont pas encore
là, mais le patron me dit que Rigzin est parti les chercher et que je les aurai
avant ce soir. Parfait, je repasserai avant la fermeture de l’agence. De là, je
vais rendre visite à mon antiquaire.
Mais là aussi quelle ne fut pas ma déconvenue lorsque j'arrivai à la hauteur de son échoppe, de constater que tous les bâtiments avaient été rasés. Après avoir pris des renseignements à gauche et à droite, on me dit que de gros travaux vont être entamés à Leh et que c'est par ce quartier qu'ils vont commencer. Je suis déçu car je ne trouve pas de trace de mon ami Lobsang et personne ne sait où il se trouve. il est fort probable que je n'achèterai pas de nouvelles statuettes tibétaines cette année.
Mais là aussi quelle ne fut pas ma déconvenue lorsque j'arrivai à la hauteur de son échoppe, de constater que tous les bâtiments avaient été rasés. Après avoir pris des renseignements à gauche et à droite, on me dit que de gros travaux vont être entamés à Leh et que c'est par ce quartier qu'ils vont commencer. Je suis déçu car je ne trouve pas de trace de mon ami Lobsang et personne ne sait où il se trouve. il est fort probable que je n'achèterai pas de nouvelles statuettes tibétaines cette année.
Je peux maintenant
retourner au Dreamland où Rigzin aura sûrement eu le temps de rentrer à
l’agence avec mes permis. Quand j’aurai récupéré le tout, il sera alors temps
de rentrer à la guesthouse et de me préparer pour aller rejoindre Jean-Louis au
Wok.
Aujourd’hui, c’est déjà mon dernier jour à Leh. Le temps
passe terriblement vite et j’ai pourtant encore des tas de choses à faire avant
mon départ. Je dois encore aller jusqu’au polo ground pour réserver une place
dans le bus de Kargil et ce n’est pas la chose la plus simple à faire, car même
si le bus est là, ce qui n’est pas gagné, il faut encore trouver le chauffeur. Lorsque
ce sera fait, j’irai acheter des sachets de noodles soupe maggi, des amandes d'abricots,
fromage de yak et d’autres petites victuailles qui vont bien me servir lors des
journées où je ne traverserai aucun village. Les courses terminées, il me
faudra encore passer un dernier coup de téléphone à ma petite femme car une
fois en trek, je n’aurai que très peu d’occasions de lui dire que tout va bien.
Ça c’est vraiment le point noir lorsque l’on trekke au Ladakh. A cause de sa
situation géographique (zone militarisée) et aussi pour des raisons de sécurité
suite aux attentats de Bombay de 1993, 2008 et 2011, plus aucun étranger ne
peut posséder de téléphone satellite, ni même acheter une simple carte sim dans
la province du Jammu & Kashmir alors que c’est la seule qui est utilisable
dans la région. C’est dire que dans ces conditions, il est totalement
impossible de téléphoner lorsqu’on se retrouve en pleine montagne. Cette réglementation
n’est franchement pas idéale lorsque l’on part seul, et de surcroît, pour une
longue durée. Chacun comprendra aisément que c’est surtout pour la personne
restée à la maison que l’attente est longue. Alors pour éviter trop
d’angoisses, je profite de la moindre occasion pour donner de mes nouvelles. Je
lui dois bien ça.
Le coup de téléphone est donné, j’ai mon ticket de bus et les
achats sont faits. Avant de rentrer pour déposer tout ça dans ma chambre, je
vais aller me prendre un petit curd with sugar dans le quartier arabe. Il est
évident que pendant le trek, j’aurai rarement droit à toutes ces petites
douceurs, même si pour le yaourt, il est possible d’en avoir chez les nomades.
Mais bon, il n’y a pas de mal à se faire du bien, alors autant en profiter maintenant
!
Une fois dans la chambre, je déballe toutes mes affaires et
étale le tout sur le sol afin de refaire mon sac et vérifier une toute dernière
fois, si ce que je prends avec moi, me sera vraiment utile. Il n’y a pas de
place pour le superflu, puisqu’il est impératif que le sac ne dépasse pas les
quatorze kilos. Et quatorze kilos, ce n’est vraiment pas grand-chose lorsque
l’on sait qu’il faut prendre la tente, quelques vêtements de rechange, des sandales,
la gourde, le sac de couchage, le matelas, la nourriture, la pharmacie, la
trousse de toilette, l’appareil photo, plus autres petits indispensables, comme
le fameux saucisson gaumais. Lorsque tout cela est réuni, on se rend très vite compte
que le poids tolérable est déjà atteint. J’avais pris le minimum à Bruxelles,
mais je devrai encore laisser des affaires à la guesthouse si je veux espérer
aller jusqu’au bout de mon aventure.
Le choix fut méticuleux mais je pense que j’y suis arrivé. En
tout cas, le sac est maintenant fermé et il le restera jusqu’à mon départ
demain matin. Sur ce, je retourne en ville car l’exercice a duré un peu plus
longtemps que prévu et il est presque l’heure d’aller au Wok.
Etant donné qu’il me faudra me lever très tôt demain matin,
le programme de la soirée est simple : repas copieux, un dernier coup de
téléphone vers Bruxelles et ensuite me coucher.
Lorsque j’arrive, je suis le premier et je commande un ginger
lemon tea, en attendant Jean-Louis. Seul à la table, il est évident que je
gamberge sur mon périple et je me dis que j’ai de la chance d’avoir encore assez
de folie en moi pour pouvoir m’engager dans de telles aventures.
Bien sûr, il
n’y a rien d’exceptionnel d’entreprendre ce genre de chose, des tas de gens en
font ou en ont fait de bien plus incroyables et je dois reconnaître que pour ma
part, rien n’était programmé pour que je tombe amoureux de l’Himalaya. Je suis
né dans un plat pays et personne dans ma famille, ni même à l’école, ne m’a
parlé de cette grande chaîne de montagne. Tout se déclencha en 1960, j'avais
huit ans et je venais de recevoir pour ma saint Nicolas le dernier album
d'Hergé " Tintin au Tibet ".
Ce fut pour moi une véritable découverte, jamais une bande
dessinée ne m'avait fait autant voyager. Ces grands décors montagneux blanchis
par des neiges éternelles où s'accrochaient des monastères dans lesquels
pouvaient vivre des moines complètement isolés du monde, me semblaient
totalement incroyables. L'histoire de Tintin me préoccupait que très peu, je ne
me demandais même pas où se trouvait le Tibet, mon seul plaisir était de me
laisser emporter dans cet univers qui m’était inaccessible que par le livre que
je tenais dans les mains.
Le premier contact était établi, il ne me restait plus qu'à
attendre le moment propice pour aller vivre une aventure dans ces montagnes et découvrir
ces monastères perdus dans la chaîne himalayenne. J'étais encore très loin de
mes rêves, si loin qu'à cet âge-là, je ne pouvais même pas imaginer la distance
qui séparait le Tibet de mon plat pays. Je savais juste que mon héros avait
pris l'avion pour atterrir dans une ville qui s’appelait Katmandou.
................ L'enfance passa et lorsque devenu adulte, j’aurais
pu partir, les voyages au long cours m’étaient alors totalement impossibles. A
l’époque il fallait débourser des prix astronomiques pour obtenir un ticket
d'avion. Dans les années septante, il y avait bien la solution de faire comme les
hippies, partir besace sur le dos vers le Népal et l’Inde.
Mais, même si cette
forme d'aventure ne m'aurait pas déplu, je n'ai toutefois jamais eu le courage
de refermer la porte de mon deux pièces mansarde et prendre ainsi la route.
Les vies conjugales, divorces et séparations, les enfants
qui devaient grandir, plaisirs et soucis de la vie, tout cela a donné un
sérieux coup d'arrêt à mes rêves himalayens. Mais quelque part, je savais que
ce n'était qu'une grande parenthèse et qu'un jour, j'irai jusqu'au bout des rêves
de mon enfance.
Connaissant à peine celle qui allait devenir ma future épouse,
nous prenions déjà la poudre d’escampette en Syrie et à Istanbul, ville frontière
entre l’Europe et l’Asie.
Pascale rêvait d’un voyage au Mexique, nous sommes allés au
Guatemala, Pérou, Bolivie, Argentine, Équateur et enfin le Mexique. Après
l'Amérique du sud, ce fût Bangkok pour aller dire bonjour à un copain qui
habitait là-bas. Évidemment, nous avons profité de l’occasion pour pousser une
pointe jusqu'au Triangle d'or. C'est là au bord du Mékong, alors que nous
regardions la rive laotienne depuis la Thaïlande, que j’ai dit à Pascale que
j'aimerai traverser le fleuve ! Ce fut chose faite dès l'année suivante et
avons parcouru tout le Laos jusqu'à la frontière cambodgienne.
Les portes de l'Asie étaient désormais grandes ouvertes.
Dans la foulée du Laos, on a fait, malgré les problèmes politiques de l’époque,
la Birmanie. Les rêves himalayens de mon enfance se rapprochaient pas à pas. C'est
alors, que par le plus grand des hasards, je découvris sur une brocante le
livre de Michel Peissel : «Mustang, Royaume Tibétain Interdit ». J'ai
littéralement dévoré les 290 pages de ce livre. Immédiatement après avoir
refermé ce premier opus, j’achetai un autre bouquin du même auteur « Zanskar,
royaume oublié aux confins du Tibet ». Cette fois, c'en était trop et l'Himalaya
devint une véritable passion.
Je ne voulais plus perdre de temps. Avec Pascale et un
copain français (Christian) que nous avions rencontré au Guatemala alors que
nous étions bloqués au bord du lac d'Atitlan par le cyclone Mitch, nous décidâmes
de faire, non pas le Tibet, puisque les frontières sont trop souvent fermées par
les Chinois depuis l’invasion du pays, mais bien d'aller dans la région que
l'on appelle le petit Tibet, le Ladakh.
Je ne fus nullement déçu de ce premier contact, je
retrouvais exactement les images de l'album de mon enfance, et 46 ans après
Tintin, je découvrais à mon tour ces monastères mythiques accrochés aux flancs
des montagnes. Mulbek, Lamayuru, Rizong, Alchi, Likir, Tikse, Stakna, Hemis, je
voulais tout voir, rencontrer les moines et les ladakhis, afin de connaître un
peu plus leurs traditions ancestrales.
Avec Pascale, nous avons fait l'année suivante le Népal et
le trek dit « le balcon des Annapurnas ». Dans la foulée, on fit aussi deux
régions tibétaines en Chine, le Yunnan & le Sichuan dans la région du Kham
à l'est du Tibet autonome, afin d'aller à la rencontre des tibétains que nous
ne pouvions, toujours pas rencontrer dans leur pays d’origine. Merci la
Chine !
Les voyages himalayens se sont poursuivis par un nouveau retour
en Inde pour découvrir cette fois, les vallées du Kinnaur et du Spiti et
terminer à Manali où Christian (l'ami français), est venu nous rejoindre, avant
de monter une nouvelle fois au Ladakh. Arrivés à Leh, Pascale rentra à Bruxelles
et je continuai avec Christian au Zanskar. Cette fabuleuse vallée que m'avait
fait découvrir Michel Peissel.
Au Zanskar, nous sommes allés jusqu'au monastère de Phukthal,
là où les moines vivent retirés dans leur monastère accroché au flanc d’une
falaise. Le voyage fût sublime. Mon seul regret, c'était que Pascale ne soit pas
là, alors que nous avions fait tous les grands voyages ensemble, j'aurais aimé
tellement pouvoir partager avec elle ces décors fabuleux.
Qu'à cela ne tienne, l'année suivante, je reviendrai ici
avec elle et nous ferons alors toute la vallée du Zanskar jusqu'à Zangla en
passant par tous les villages qui sont décrits dans le bouquin de Michel Peissel,
et nous continuerons jusqu'à Phuktal et rentrerons à Padum par le s'Tongde La
en passant du même coup par le village isolé de Shade au Zanskar.
Lorsque je suis rentré à la maison, mon enthousiasme et mes
photos l’ont persuadé de tenter cette aventure. Et dès l’année suivante, nous fîmes
cette fois ensemble, le grand tour de cet ancien royaume et poussâmes aussi une
petite pointe de deux jours jusqu'au lac Tsomo Riri. Question de voir de quoi
il a l'air.
Après le Tsomo Riri, Pascale rentra une nouvelle fois à
Bruxelles et j’ai continué le voyage seul, pour faire la vallée de la Noubra et
le trek dans la vallée de la Markha.
Le temps passe décidément trop vite. A 60 ans je n'ai pas
encore l’intention de raccrocher mes chaussures dans la remise et je me mets en
tête d'entreprendre une aventure encore plus folle, celle de traverser le
Ladakh en solitaire. Non pas depuis Lamayuru comme le font les agences, mais
bien depuis la frontière pakistanaise, dans la vallée du Dha. Puis je
continuerai à descendre vers le Zanskar pour finir mon trek à Darsha, hameau
qui se trouve sur la route Manali / Leh.
Le périple sera une réussite personnelle, cette solitude
dans l’effort m’apportant une toute autre dimension au trekking. A maintes
occasions, j’ai pu constater que les contacts avec les ladakhis étaient
totalement différents lorsqu’on est seul. Comme vous êtes « alone »
et qu’ils connaissent mieux que quiconque la difficulté du terrain, il est rare
d’avoir à traverser un hameau sans être invité dans une maison pour y boire un
thé au beurre de yak, accompagné d’un peu de tsampa. Ce sont des gestes simples,
mais hautement traditionnels, car chacun sait ici, combien le mot solidarité à de
l’importance lorsque l’on vit toute l’année dans cette immensité de pierres à
plus de 4000 m d’altitude, avec des longs hivers qui frôlent généralement le
moins quarante degrés Celsius. Vivre dans de telles conditions serait
totalement irréalisable sans la moindre solidarité. Ce mot est tout simplement inscrit en lettres d’or dans la
mémoire collective des ladakhis et forcément, elle s’applique aussi à
l’étranger de passage.
Je suis parfaitement conscient que sans cet état d’esprit, il me serait impossible d’entreprendre une
telle aventure. Mais loin de moi l’idée de profiter, il est donc évident que ce
système est aussi valable pour moi. Solitaire et solidaire sont des mots pas si
éloignés l’un de l’autre. D’ailleurs depuis que les touristes arrivent dans ces
villages retirés, une autre tradition s’est mise en place au fil des années,
celle de laisser un billet en-dessous du coussin où on était assis.
Expérience inoubliable, qu’une fois à la maison, je n’ai eu
de cesse d’imaginer un circuit encore plus grand. Evidemment dans cette région
bénie des dieux, les choix ne manquent pas. Puisque j’avais déjà fait du nord
au sud, concevoir un circuit qui allait d’ouest en est, s’est imposé tout
naturellement. Ce nouveau défi d’envergure, est de loin le plus long de tous
les treks que j’ai fait jusqu’à présent. Il me conduira de Shergol en passant
par les hauts plateaux tibétains avant de rejoindre le Lac Tsomo Riri. Je
traverserai successivement les régions du Purig, Sham, Stod et le Rupshu.
Voilà en grandes lignes, comment cette passion pour
l’Himalaya est née en moi et pourquoi je me retrouve une nouvelle fois à Leh. Dans
ce journal de route, les pages retraceront, non pas mon aventure au jour le jour,
mais, tous les moments forts, tels que les découvertes, les rencontres et aussi
mes états d’âmes que j’aurai sur les chemins, qui je l’espère, m’emmèneront
jusqu’au monastère de l’école Karma Kargyud de Mahe.
Voici le calendrier approximatif de cette, non pas
expédition, mais grande aventure que je m’apprête à faire.
En route
vers de nouvelles aventures
Nuit difficile, je n’ai presque pas fermé l’œil de la nuit.
C’est d’ailleurs avec un certain soulagement que pour une fois, j’ai entendu le
réveil matinal venu en droite ligne du minaret du centre de Leh. Les autres
jours, cet appel du muezzin me fait généralement râler un bon coup. Mais cette
fois, au matin du grand départ, cette horloge parlante du monde musulman m’extirpe
illico presto de mon lit. Je passe aussitôt dans la salle d’eau pour m’en jeter
quelques gouttes sur le visage afin d’avoir l’air plus lucide, malgré les quatre
heures du mat. J’enfile mes vêtements et mes godasses avant de me charger du
sac à dos super léger. Dernier coup d’œil pour voir si je ne laisse rien
derrière moi et je referme la porte de la chambre.
Dehors, il ne fait pas encore jour, mais les meutes de
chiens conquérants occupent les rues de la ville. Pas très rassurant de se
balader seul en si mauvaise compagnie. Mais bon, j’essaye de me faire le plus
discret possible afin de ne pas éveiller leur attention. Ils pourraient relever
leur museau des monticules d’ordures en espérant trouver meilleurs morceaux de
viande que mes pauvres mollets pourraient représenter pour eux. A ce moment
précis, je pense à tous ces gens qui me demandent souvent si je n’ai pas peur
de traverser l’Himalaya seul ? Aujourd’hui, j’ai la réponse à leur
question et je leur répondrai que, traverser Leh au petit matin est bien plus
dangereux que de traverser tout l’Himalaya !!!
Je ne serai pas mécontent
d’arriver au polo ground. Comme pour me rassurer, ne voilà-t-il pas qu’une
bagarre éclate, aussitôt la meute se transforme et ce sont maintenant des véritables
hordes de chiens qui arrivent de tous côtés. Vite fait bien fait, j’active le
pas pendant que ces hors-la-loi règlent leurs comptes entre eux. De peur d’être
trop visible, je quitte le Main Market pour m’engouffrer dans une ruelle plus
calme. Après cinq minutes, j’arrive enfin à destination. Le chauffeur du bus me
demande directement de mettre mon sac sur la galerie. Je lui réponds que je ne
vais pas jusqu’à Kargil, que ce sera plus simple pour tout le monde si je garde
le sac près de moi. Ce qu’il accepte bien volontiers, puisque cela lui fera
gagner du temps.
A 5h précise, le bus se met en branle. Mais avant de quitter
Leh, il y aura quelques arrêts afin de faire monter encore quelques candidats
au voyage, alors que tous les sièges étaient déjà occupés lorsqu’on a quitté le
polo ground. Un petit effort de chacun et tout le monde trouve une place, plus
ou moins confortable pour aller jusqu’à sa destination. La mienne, c’est
Shergol, village qui se trouve juste après Mulbek.
Nous voilà enfin sur la National Highway 1D. Ne
vous laissez pas abusé par l’appellation Highway car cette dénomination est en
Indian English (c'est une highway au sens propre : high = haut et way = voie,
donc c'est une haute route, ce qui convient parfaitement à l'Himalaya !). Hélas
cette haute route est éternellement en chantier et qui, sur des nombreux
tronçons, est tout simplement dépourvue de bitume. Dans ces conditions, il
n’est pas rare de mettre plus de dix heures pour faire les deux cents
kilomètres séparant Leh de Shergol.
Pour avoir les meilleures vues sur les différents décors que
ce désert de pierres me dévoilera au fur et à mesure des kilomètres, j’ai
demandé un siège du côté gauche. C’est de là qu’il me sera permis de voir,
entre autres, le confluent formé par la Zanskar river et de l’Indus. Cette
union est assez spectaculaire. Tout d’abord, il se situe dans un cadre
magnifique, avec en toile de fond une vallée composée de roches aux couleurs
multiples et en avant plan, le contraste des couleurs entre les deux torrents, bleues
pour l’un et grises pour l’autre. Pour donner une touche supplémentaire au
tableau, on remarque bien la couleur bleue de l’affluent qui se dissout doucement
dans les eaux de l’Indus.
Quelques kilomètres plus loin, nous arrivons à Nimu. C’est
l’heure de prendre le petit déjeuner dans un des nombreux bouis-bouis situés de
part et d’autre de la route. Juste le temps de manger deux œufs durs avec un
chapati et de boire un verre de thé, que le chauffeur du bus fait déjà actionner
le klaxon pour annoncer le départ imminent.
Chacun retrouve sa place initiale et nous voilà en route
pour le franchissement du Rongo La (3550m), avec sa vue imprenable sur les
ruines de la forteresse de Basgo. Ce n’est peut-être pas le plus haut col du Ladakh,
mais la route est tellement mauvaise qu’il est très difficile de circuler et à
certains endroits, le passage est si étroit, qu’il est impossible pour deux
véhicules de se croiser. C’est alors les inévitables manœuvres pour que le
véhicule montant puisse passer en premier. Cette règle est valable pour tout le
monde, sauf pour les convois militaires, qui eux, ont la priorité absolue et
tout chauffeur a intérêt de mettre son véhicule sur le côté afin de laisser
passer toute la colonne, aussi longue qu’elle soit !
Les kilomètres s’étirent, nous sommes toujours le long de
l’Indus et nous traversons Saspol, passons au pont d’Alchi et arrivons au
hameau de Nurla. A Khaltse, nouvel arrêt repas. Même topo que dans le village
de Nimu, beaucoup de petits restos de route où les plats sont pratiquement les
mêmes partout. Afin d’être un peu plus en dehors du bruit et de la poussière,
je vais manger dans un resto qui se trouve sur une petite place. Pour faire
simple et être vite servi, je commande un dal (riz, lentilles épicées, légumes)
et un thé. Ce n’est pas le meilleur dal que j’ai eu l’occasion de manger, mais
au moins je vais pouvoir repartir le ventre plein.
Peu après Khaltse, nous quittons très vite les bords de l’Indus
qui continue son chemin vers le Pakistan par la vallée du Dha. Tandis que nous,
nous poursuivons sur l’ancienne voie caravanière qui faisait il y a très
longtemps, Srinagar-Lhassa. Avant d’arriver à Lamayuru, on longe le fameux
cirque désertique appelé le « Moonland ». J’ai beau être passé
plusieurs fois par ici, je suis à chaque fois fasciné par le site. J’ai même
été, en 2012, y faire une balade qui m’a tellement enchanté, que je pense bien
renouveler l’expérience cette année. J’aurai l’occasion de le faire après avoir
assisté au festival du monastère. Dès que nous passons le village, la route
commence à s’élever à nouveau. Cette fois c’est pour franchir le Photu La, un
col de 4100 m d’altitude. Dans les premiers lacets, on peut apercevoir de bien
belle façon le monastère juché sur son piton rocheux. Lacet après lacet, le
chauffeur a toutes les peines de monde à faire avancer son bus sur la pente
devenue de plus en plus raide et j’ai bien l’impression que l’aiguille du
thermostat doit être confortablement installée dans la zone rouge du cadran de
contrôle (s’il fonctionne encore).
Une fois le sommet franchi, le chauffeur
arrête d’ailleurs son véhicule pour laisser souffler les puissants chevaux
moteur cachés derrière la calandre. Il n’y a pourtant pas trop de temps à
perdre car la route jusqu’à Kargil est encore longue. C’est à présent la longue
descente jusqu’à Henasku, puis Bodkharbu. Il ne me reste qu’une trentaine de
kilomètres avant d’arriver à l’étape du jour, mais pour cela, il faudra encore
franchir un dernier col, le Namika La (3755m). Col sans grande difficulté car
la route est à présent meilleure. Dans moins d’une heure, je serai à Shergol.
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